Beaucoup considère la guerre contre le terrorisme, lancée aux lendemains du 11 septembre 2001, et plus particulièrement son avatar irakien, comme une préfiguration médiatique de la Troisième Guerre mondiale. Pour d’autres, elle serait déjà en cours, matérialisée par la quarantaine de conflits de basse intensité qui ont cours de par le monde. Pour d’autres enfin, nous serions entrés dans une nouvelle période de Guerre froide. La hausse vertigineuse du prix du pétrole serait moins liée à la situation en Irak et à l’incertitude qui règne autour de la destinée des Sa’ûd, qu’à cette nouvelle situation.
Pour le moment, elle ne serait en fait limitée qu’aux prises de positions. Comme naguère autour du sort de l’Allemagne défaite, les fractures sont apparues autour du sort à faire (fait) à l’Irak. Malgré les accents de retrouvailles du 6 juin dernier, la brouille ne fait que s’accentuer et la querelle s’envenimer. Les Etats-Unis semblent n’être pas encore sur le point de passer à la France son indépendance d’esprit et apparaissent comme voulant le lui faire payer. Le contexte électoral ne fait rien à l’affaire. Les surenchères ont commencé dès le printemps 2002, avec cette accusation d’antisémitisme dont a été affublée la France.
Certes, les attaques contre la communauté juive avaient redoublé depuis le début de la seconde Intifada (28 septembre 2000) en Palestine et en Israël. Mais l’accusation infamante était venue des Etats-Unis. Lancé au mois de mai 2002, Boycottfrance.com est un site, toujours en vigueur, bien que non alimenté depuis lors, édité par le Congrès Juif Américain mettant en garde contre les poussées de plus en plus fréquentes, selon eux, de l’antisémitisme en France. Il y était relevé des « similarités objectives » avec la situation de 1940. « Sans toutefois prédire un nouvel Holocauste », le Congrès Juif désirait faire reconnaître "la gravité du problème et dénoncer l’inefficacité du gouvernement français". Pour cela, il recommandait un boycott de la France. Cet avertissement avait été relayé par le site du Centre Simon Wiesenthal, qui appela les Juifs amenés à voyager en France ou en Belgique à une « extrême vigilance ». Mais, surtout, des encarts publicitaires avaient été diffusés dans le Hollywood Reporter et dans Variety, les journaux professionnels de l’industrie cinématographique. Ils demandaient aux personnalités de la scène artistique américaine de refuser de se rendre au Festival de Cannes.
Tous les effets de la bataille de l’information entre Washington et Paris furent fourbis à cette époque. L’accusation était tellement grave qu’elle condamnait journalistes et universitaires à une censure sans de tous les instants. Il fallut attendre deux ans pour qu’un ouvrage apaisé abordât cette thématique, et encore nanti de toutes les précautions historiques nécessaires : Michel Winock, La France et les juifs, de 1789 à nos jours, Paris Seuil, 2004 [http://www.lire.fr/critique.asp/idC=47376/idR=214/idG=6]. La ficelle étant un peu grosse, elle dégénéra en France en querelle des « nouveaux réactionnaires », puis sombra dans un anti-américanisme que l’on voyait croissant à mesure que la guerre préemptive devenait inévitable. Si l’avant-guerre était environné de ce contexte culturel, l’après-guerre n’y dérogea pas.
En marge des difficiles relations algéro-françaises, dont le paroxysme peut être trouvé dans les campagnes d’attentats de juillet et octobre 1995, les Etats-Unis ont remplacé la France. Dans la foulée du régime préférentiel qu’ils ont accordé à l’Algérie pour l’exportation de certains de ses produits industriels et autres vers ce pays, alors que le ministre français des Affaires étrangères se trouvait à Alger, on apprenait que les Etats-Unis et l’Algérie devaient aboutir à la signature d’un accord à Washington pour l’ouverture d’une ligne aérienne directe vers Hassi Messaoud. Cette destination dans le sud algérien n’est pas courue pour ses possibilités touristiques. Elle était plus connue pour ses gisements pétroliers et gaziers ; elle était même la région la plus calme du temps de la guérilla des Groupements islamiques armés et autres Groupements salifications pour la prédication et le combat… Les Etats-unis considèrent l’Algérie comme un de leurs plus important « alliés » en dehors de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), et souhaiteraient lui faire intégrer l’Alliance… Au fond, pourquoi pas ! La Roumanie en fait est bien membre… Il s’agirait encore d’un pavé de plus dans le champ français et même européen si, comme d’aucuns le proclament, l’OTAN est l’antichambre de l’Union…
Paris cherche à résister, organisant le « défilé » de trois ministres français à Alger, Michel Barnier, Michèle Alliot-Marie (Défense) et Nicolas Sarkozy (Economie) en juillet, dans une volonté de doubler Washington en Algérie, puis, le 15 août, invitant le président Bouteflik aux cérémonies commémoratives du 60e anniversaire du débarquement allié en Provence de 1944. Mais le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier, lors de sa visite officielle à Alger, les 12 et 13 juillet, avait réfuté l’idée d’une « rivalité franco-américaine sur l’Algérie (…) aussi tenace qu’erronée. »
Dernier avatar de ce combat qui, comme la première Guerre froide, fera plus de morts qu’une guerre réelle, le bras de fer américano-européen à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) autour des aides à Boeing et à Airbus. En début de journée, le 6 octobre, Washington a engagé une procédure contre les subsides accordés au constructeur d’avions européen. Peu après, l’Union européenne a fait de même sur les aides versées au rival d’Airbus. Cette escalade survient moins d’une semaine après l’échec, le 30 septembre aux Etats-Unis, d’une ultime tentative de négociations entre Pascal Lamy, commissaire européen chargé du commerce, et le secrétaire d’Etat américain au commerce, Robert Zoellick. Elle s’inscrit en pleine campagne électorale américaine, où George Bush tente de se présenter en défenseur de l’industrie et des emplois américains. En début de semaine dernière, lors de son audition par le Parlement européen, Peter Mandelson, qui succédera à Pascal Lamy le 1er novembre, s’était engagé à tout faire pour désamorcer ces contentieux transatlantiques. A peine en poste, il devra s’atteler à un dossier dont il a déjà mis en avant la « solidité ». Et puis il y a la tournée quatre fois milliardaire de Jacques Chirac en Asie, particulièrement en Chine, que le président français a mis à profit pour vendre les fleurons de l’industrie française, Alstom et Airbus notamment.
La France n’ait pas la seule victime de la Guerre froide nouvelle mouture ; elle est, pour le moment, dans la posture de l’Union soviétique en 1947, nanti d’une aura internationale que les Etats-Unis cherchent à limiter afin de s’assurer de leurs alliés. La seule différence avec cette époque tient dans le fait que les alliances ne durent que le temps d’être rompues. Au-delà des conflits régionaux, les relations commerciales sont sous tension permanente, comme le montre l’exemple du pétrole. Cela principalement parce que les mécanismes collectifs de régulation souffrent de l’unilatéralisme constant de l’« hyper puissance » américaine. Personne ne sait si l’ancien conseiller à la sécurité nationale du président Carter, Zbigniew Brzezinski, était sérieux lorsqu’il s’exclama : « Notre choix ? Dominer le monde ou le conduire (…). Dépendre de manière exclusive de la coopération multilatérale serait le plus sûr chemin vers la léthargie stratégique. » En tout cas, il annonçait les vingt années futures.
Cette vision, comme beaucoup d’autres en politique étrangère, est commune aux partis républicains et démocrates. C’est dire combien les médias et certains intellectuels français font fausse route en clamant victorieusement que la victoire de John Kerry serait mieux pour la France, l’Europe et le monde, qu’une réélection de George W. Bush. Les « libertyfries » resteront en vente…
Bill Clinton et son successeurs ont développé une politique associant administrations et entreprises, destinée à tirer le profit maximum de la mondialisation. La diplomatie et les agences gouvernementales sont mises à contribution pour soutenir les entreprises américaines et faire obstacle à toute contrainte en matière de développement économique. Parallèlement, les juridictions américaines s’assurent du contrôle des normalisations juridique, technologique et financière, et les fonds de pensions se rendent maîtres des métiers stratégiques (audit, expertises, courtage d’assurances, conseil). Ces fonds d’investissement, comme Carlyle ou Halliburton, associent anciens hauts fonctionnaires et hommes politiques ; ils sont chargés de développer ou de prendre le contrôle d’entreprises, par tous les moyens, y compris les plus opaques, appartenant à des secteurs jugés stratégiques. Le tout dans une logique protectionniste et unilatérale. La stratégie américaine de cette Guerre froide consiste dans une organisation commerciale offensive de l’administration et un libéralisme effréné à l’extérieur pour les autres.
Deux exemples pour confirmer cette assertion. La première repose sur une version non-autorisée de l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, le 21 septembre 2001. Un écho radar, non retenu par l’enquête officielle, aurait été marqué en partance de l’Atlantique… Le site toulousain comptait également la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE), la seule en Europe à produire l’ergol MMH pour l’étage à propergol stockable (EPS) ainsi que pour les étages de la fusée européenne Ariane. Détruite, sa production était indisponible pour longtemps. Pour préparer la campagne suivante du lanceur, alors que les essais américains de placer des satellites commerciaux sur orbites, la France a du acheter du combustible aux Etats-Unis, ce qui la conduit à perdre, le 11 décembre 2002, le lanceur…
Plus confirmé, mais tout autant porteur de conséquence, les événements en marge de la réorganisation de la centrale américaine du renseignement. Le nouveau directeur de la CIA, Porter Goss, vient de débaucher un patron de multinationale, Michael Kostiw, pour en faire son nouveau directeur exécutif. Parlant couramment le russe et l’ukrainien, il était vice-président de la compagnie pétrolière Chevron-Texaco. Condoleezza Rice en était une des administratrices avant de gagner le Conseil de sécurité nationale. Kostiw supervisait les affaires gouvernementales et internationales. Il devrait être l’homme idéal pour les opérations à venir de déstabilisation de la Fédération de Russie en vue de contrôler ses ressources pétrolières, surtout en vue de la liquidation du groupe Youkos.
Que fait l’Europe ?
13.10.04
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire