29.10.04

Démocratie européenne

Au moment où les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-cinq vont signer à Rome le nouveau traité d’Union, donnant à l’Europe une charte constitutionnelle, le Parlement de Strasbourg vient de la faire avancer de façon importante. Le déficit démocratique était un des chevaux de bataille des eurosceptiques. Le rôle des parlementaires restait une interrogation profonde pour les Européens. Et le centralisme bruxellois apparaissait à tous comme une facile « bête noire ». Le sort fait à la commission Barroso n’a rien à voir avec les mots de Rocco Buttiglione ou les incompétences supposées de certains autres de ses collègues. José Manuel Durao Barroso, comme Jacques Santer en 1999, puis Romano Prodi au début de son mandat, ont eu le tort de ne pas prendre au sérieux une institution dont les pouvoirs sont encore limités. Tous trois se sont vu opposé une volonté populaire, puisque les parlementaires européens sont les seuls à bénéficier d’une légitimité électorale depuis 1979.
A cette affirmation de la souveraineté du peuple s’est ajoutée rapidement sa revendication. Les auditions que le Parlement a tenues pour évaluer les qualités des commissaires pressentis ont constitué un véritable test. Non prévues par les traités, elles ont été imposées par les eurodéputés en 1994 à Jacques Santer. S’il ne s’y soumettait pas, le Parlement avait prévenu qu'il ne voterait pas l'investiture de sa commission. La lente conquête du pouvoir législatif, initiée par les procédures de « coopération » à la réalisation du marché intérieur (Acte unique de 1986) et de « codécision » (traité de Maastricht de 1992), prenait un tour nouveau. Désormais, il était impossible à un exécutif de se soustraire à son audition, mais le rapport restait déséquilibré : le Parlement restait une chambre d’enregistrement.
Tout change avec le traité d'Amsterdam de 1997. Strasbourg se voit doté du pouvoir de légiférer à égalité avec le Conseil des ministres, dans un certain nombre de domaines (transports, protection des consommateurs, environnement…). Il lui fallut deux ans pour montrer qu'il savait en faire usage. Il a rejeté deux textes, selon lui d'inspiration trop libérale, sur les dockers et les offres publiques d'achat (OPA), qui avaient pourtant obtenu l'aval du Conseil. Mieux, il menaçait de censurer la commission Santer, engluée dans les affaires de népotisme de la commissaire française Edith Cresson. L’ancien Premier ministre luxembourgeois avait préféré démissionner plutôt que d’affronter la puissance parlementaire.
Mais, là encore, comme avec Rocco Buttiglione, l’essentiel était ailleurs. Jacques Santer, comme José Manuel Durao Barroso, ont été parlementaires, avant d’accéder à la présidence de gouvernement. Tous deux savent, comme leurs collègues eurodéputés le savent, comment les chambres d’enregistrement du XIXe siècle se sont affirmées, grâce aux droits de discuter le budget et d’adresse, face aux exécutifs comme de véritables Parlements, obtenant le droit d’initiative. Tout commence par le budget, puis l’engrenage parlementaire impose l’adresse au chef de l’exécutif, puis la confiance et donc la censure.
Les eurodéputés, las de se voir confisquer, au profit des diplomates, la voix sur l’évolution de l’Union, avaient su utiliser le fiasco du Conseil européen de Nice en 2000. En réclamant plus de transparence, ils ont obtenu la création de la Convention. Sous la houlette de Valéry Giscard d'Estaing, qui se verrait bien le premier Président de l’Europe puisque son destin français s’est achevé en 1981, elle a rédigé un projet de Constitution, dont la signature consacrera la montée en puissance du Parlement européen. Aussitôt promulgué dans les vingt-cinq Etats de l’Union, selon les modalités choisies par les gouvernements (référendum ou voie parlementaire), elle augmentera ses pouvoirs budgétaires et législatifs. Le Parlement aura son mot à dire sur la politique agricole commune — la moitié du budget communautaire —, la seule politique intégrée, à l’exclusion de l’Euro. Il pourra également se prononcer sur les lois relatives à la justice, l'asile ou l'immigration. Résolument, c’est une Europe politique qui se dessine. Sa première réalisation pratique devrait être la résolution de la question turque…

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