Yasser Arafat se meurt. Avec lui, il ne restera plus que Hosni Mubarak et Mu’ammar al Kadhafi a représenter l’ancien ordre post-colonial instauré au Proche-Orient et en Afrique du nord. Les premiers changements avaient eu lieu au Maghreb, plus soumis à l’influence occidentale (il n’a conquis son indépendance qu’après la Seconde Guerre mondiale, entre 1951 et 1962) et moins rattaché aux traditions arabes. Cette terre résolument africaine de peuplement minoritairement arabe s’est fracturée avec l’accession à la présidence du Haut-comité d’Etat algérien, en janvier 1992, de Mohamed Boudiaf ; les désordres qui suivirent ce changement, à commencer par son assassinat, empêcha l’émergence d’une nouvelle société et le remplacement du Front de libération nationale. Le cas tunisien ne correspond pas vraiment à un changement de voie par héritage, le général Ben Ali ayant continué la politique de son prédécesseur sans changement radical. De fait, l’évolution nord-africaine restait limitée, au moins jusqu’à la disparition de Hasan II et l’accession au trône du Maroc, le 30 juillet 1999, d’un Muhammad VI formé à l’occidentale ; n’a-t-il pas fait un stage à la Commission européenne, au temps de Jacques Delors ? Ce jeune homme moderne est de la même classe d’âge, partageant la même éducation et les mêmes espoirs de changement, de modernisation que les héritiers ba’asiste syrien et Hachémite jordanien qui ont succédé à leurs pères au tournant du siècle.
Le nouveau roi du Maroc n’était pas le premier à symbolisant cette prise de pouvoir par les « héritiers ». Cinq mois plus tôt, le « petit roi » de Jordanie, Hussayn, avait été emporté par le cancer, laissant le trône à son fils, Abdulah II. Il prêta serment devant les chambres réunies d’observer la constitution le 7 février 1999, le jour même du décès de son père, désignant son demi-frère Hamze, né en 1980, comme Prince héritier. Envoyé à quatre ans à Saint Edmund School dans le Surrey, Abdulah avait complète sa scolarité aux Etats-Unis puis, en 1980, suivit une formation à la British Military Academy de Sandhurst, avant de faire une année d’étude en politique internationale à Oxford. De retour en Jordanie, il est affecté à la 40e brigade blindée et repart aux Etats-Unis suivre en 1985 des cours de commandement à l’école de cavalerie de Fort Knox. Après avoir dirigé durant quelques mois une compagnie de chars jordanien, il est détaché en 1986 et 1987 dans une unité d’hélicoptères anti-chars, puis passe ensuite un an à l’université de Georgetown à Washington. Cette forte activité militaire, contrairement à Muhammad VI, lui assurait le soutien de l’armée et des tribus bédouines, base traditionnelle des Hachémites). L’origine palestinienne de son épouse, issue d’une riche famille de Tulkarem, constitue un autre atout dans un pays où la population d’origine palestinienne est majoritaire.
Bachar al Assad fut proposé par le Parlement comme successeur de son père le 25 juin et confirmé par référendum populaire le 10 juillet 2000. Sa légitimité n’allait pas de soit. D’abord, sa famille appartient à la minorité alawie. Ensuite, il se destinait à une carrière médicale et terminait ses études d’ophtalmologie en Angleterre lorsqu’il fut rappelé par Hafiz al Assad, en 1994, pour assumer les fonctions de son défunt frère aîné à la tête d’une division blindée syrienne. Bien qu’incarnant la continuité d’un régime totalitaire stable mis sur pied par son père, Bachar al Assad a néanmoins, par sa jeunesse et ses options modernistes, notamment dans le secteur de l’informatique, suscité des espoirs de démocratisation. Des forums de discussions informels regroupant des intellectuels, sans base populaire, se sont alors créés après juin 2000 à Damas et dans plusieurs villes de Syrie où le thème de la démocratisation et de la fin de l’Etat d’urgence (en vigueur depuis 1963) étaient abordés. En février 2001, encouragé par la vieille garde du régime baasiste, Bachar al Assad y met cependant un terme, déclarant qu’« il y a des lignes rouges à ne pas franchir » et en faisant arrêter une dizaine d’intellectuels. La fragilité de sa légitimité au sein du parti expliqué cette reculade. La guerre américaine contre l’Irak n’a fait que tué dans l’œuf, pour longtemps, toute évolution en Syrie. Pour combien de temps ?
Gamal Mubarak, fils cadet du président égyptien, fait également office d’« héritier ». Il est jeune et, comme Bachar al Assad, n’était pas destiné à le devenir avant le décès de son frère. Il est diplômé en économie de l’université américaine du Caire et représentent l’aile libérale du parti national démocratique, dont il dirige le comité politique depuis 2002. Bien qu’il semble éclipser, avec le général Omar Sulayman, patron des services secrets, le général Muhammad Husayn Tantawi, commandant en chef des forces armées, et Amr Musa, secrétaire général de la Ligue arabe, sa légitimité semble faible, son père a publiquement annoncé qu’il n’aurait pas de succession héréditaire du pouvoir. Mon on assiste à une forte médiatisation depuis le mois de juin et la « maladie bénigne » du président. Toutefois, il reste un obstacle de taille : il n’est pas issu des rangs de l’armée. Or, depuis la révolution de juillet 1952, tout président égyptien doit, sinon être officier, au moins, disposer de l’onction des militaires, qui va pour le moment au général Sulayman. Le politologue égyptien Mustapha Kamel Sayyed n’exclut pour autant pas un scénario à la syrienne. « Les propos du Raïs, estime-t-il, sont, peut-être, une façon de dire qu’il n’imposera pas son fils, mais que celui-ci sera appelé par le peuple ».
Les mêmes interrogations se posent à l’égard de l’héritier du flamboyant Kadhafi. Des proches du raïs libyen affirment qu’il n’a pas l’intention de préparer une succession familiale, car « le pouvoir appartient au peuple et à lui seul » et la « Jamahiriya (République des masses) n’est pas un système royal ou héréditaire ». Mais le chef de l’Etat libyen n’en prépare pas moins le terrain pour que ses fils prennent position au niveau de la direction du pays. Son fils Saif Al Islam, actuel président de la Fondation humanitaire Kadhafi, est devenu l’interlocuteur principal dans le cadre des relations entre Paris et Tripoli, alors que ce dossier était jusque-là dans les mains du cousin du colonel Kadhafi, Ahmad Qazzaf al Dam, et de l’ancien ministre des Affaires étrangères, actuellement ambassadeur en Italie, Abdel Ati al Obaïdi. L’autre fils de Kadhafi, Saadi, surnommé « le hooligan », bénéficie de tout le soutien paternel dans son implication croissante au sein de plusieurs conseils d’administration de sociétés dans lesquelles il détient des parts (Banco di Roma, Fiat et le club de football de la Juventus de Turin). Un autre, Mutassam, a fondé il y a deux an et demi une milice spéciale, dont la mission était de combattre la corruption et dont les membres se promenaient dans Tripoli dans des jeeps noires. Son père a toutefois mis un terme à ces activités et l’a envoyé en Italie et en Egypte. Le rôle de l’épouse du colonel Kadhafi est également plus affirmé ces derniers temps. On l’a ainsi vu récemment assister lors de la commémoration de la « révolution libyenne » à un défilé militaire féminin. Et puis il y a la fille adoptive, Aicha, anciennement connue comme la « Claudia Schiffer » libyenne, avant ses frasques londoniennes et niçoises… S’il devait y avoir une réforme au sein du régime libyen, celle-ci impliquerait donc logiquement la nouvelle génération des Kadhafi.
Yasser Arafat est donc aujourd’hui le dernier dirigeant arabe de l’ancienne génération, Saddam Hussein ayant été éliminé par la force. On a souvent accusé Israël de jouer la montre, sur le plan de la résolution de son conflit avec les Palestiniens., renvoyant toute avancé à son successeur. Seulement voilà, quel sera-t-il. Où sont les « héritiers » ? Marwan Barghouti, qui passait pour l’interlocuteur privilégié des Israéliens, est depuis le 6 juin emprisonné à cinq condamnations à vie pour meurtres et à quarante ans de prison pour tentative de meurtres dans des attentats contre des Israéliens. Passera-t-il de la prison à la présidence, comme le suggérait Ze'ev Schiff, dans son article du 16 juillet dernier, « Talking to Barghouti », paru dans le quotidien israélien Ha'aretz ?
Toujours est-il qu’à l’aune de l’actualité immédiate, ses chances sont plus qu’obérées. Mahmud Abbas, le secrétaire général du Comité exécutif de l’OLP et donc numéro deux de la centrale palestinienne derrière M. Arafat, et Ahmad Qoreï, la deuxième personnalité de l’Autorité palestinienne, tiennent le devant de la scène. Même si, Arafat venant à disparaître, il serait remplacé par le président du Conseil législatif palestinien, Rawhi Fattouh, jusqu’à la tenue d’élections dans un délai de soixante jours, comme le prévoit la loi fondamentale de l’Autorité palestinienne, dans les faits, Abbas et Qoreï prendraient les rênes du pouvoir. Fattouh n’est pas un « poids lourd » de la scène politique palestinienne, selon des responsables. Des sources proches de l’Autorité palestinienne, citées par l’AFP, évoquent la prochaine mise en place d’une direction collégiale autour d’Abbas, Qoreï, et du président du Conseil national palestinien, le parlement de l’OLP en exil, Salim Zaanoun. Mais le conseiller du président, Nabil Abu Roudeina, a démenti une telle décision, rappelant qu’« aucune direction n’a été formée et aucun décret n’a été publié ».
28.10.04
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