Depuis que le nouvel ordre mondial a remplacé l’affrontement d’un Occident capitaliste à un Orient communiste par celui d’un Occident désabusé et d’un Orient islamisé, une question transcende les relations internationales. Samuel Huntington l’a qualifié de « choc des civilisations ». Et de montrer que le monde se craquelait en fonction des mouvements d’une tectonique religieuse. Bien qu’américaine, cette conception n’était pas tout à fait erronée. Elle témoignait d’une vision manichéenne des choses du monde, certes, mais en révélait autant sur le contexte intellectuel du monde que de l’auteur. Le professeur Huntington apportait une lecture emprunte de religiosité d’un monde irrationnel tenté par une explication rationnelle. Et cette rationalité se retrouvait dans la religion, perçue aussi bien comme un héritage moral et culturel qu’en tant que foi.
La perception occidentale de cette montée de religiosité est purement déliée de toute Eglise. Les critiques européennes, voire tout simplement française, à l’égard de la foi du président sortant américain, sont significatives à cet égard : c’est un born-again. Il a redécouvert la foi par un cheminement intérieur, et non par un accompagnement communautaire. Le monde occidental est pourtant persuadé de cette démarche qu’elle s’obstine à refuser à George W. Bush. Que l’on regarde les événements de ces derniers mois au niveau européen ! Le refus de mentionner, dans le préambule de la Constitution signée vendredi à Rome, les « racines chrétiennes de l’Europe », les attaques contre Rocco Buttiglione sont autant dus à un aveuglement idéologique de moralistes déchristianisés – à quoi se rattache alors leur moral – qu’à une institutionnalisation d’une lecture laïque de l’évolution humaine. Ce qui est accepté pour les juifs en terre d’Israël, les musulmans en terre d’Islam, les hindouistes en terre indienne… ne l’est plus pour les chrétiens, par-dessus tout s’ils sont catholiques, en terre d’Europe.
Cette nouvelle intolérance sélective, typiquement européenne et nord-américaine, se retrouve également dans les revendications des débuts de l’antimondialisme, lorsque la participation du gouvernement central de l’Eglise catholique qu’est le Saint-Siège aux travaux des Nations-Unies, comme observateur, était contestée. Le moralisme invoqué, comme toujours depuis, concerne la reconnaissance de l’homosexualité et de l’avortement. Il est vrai que, sur ces deux questions, l’Eglise de Rome est en décalage avec l’évolution de la société. Mais il en va de même dans le judaïsme et l’islam, le rejet étant peut-être même plus fort dans ses sociétés machistes. De plus, le poids de la position de l’Eglise catholique dans la société va décroissant, et ce ne sont pas les bataillons des Journées mondiales de la jeunesse qui vont y changer quelque chose ; la plupart y font pour voir un Pape prendre un bain de jouvence salvateur, les autres, heureusement minoritaires, par extrémisme. Cela ne fait pas un renouveau de la foi. Pourquoi ces attaques alors ?
La religiosité est entrée dans l’ère de la mondialisation. Elle s’affirme par un fidéisme athée, sans Eglise ni Dieu. Elle est une valeur purement occidentale de l’évolution des affaires du monde. Le communisme ayant disparu, emportant avec lui l’église moscovite athée, un besoin de croire en un avenir meilleur s’est fait sentir. La volonté de remplacer, dans une lecture bilatérale de la Guerre froide, l’Orient communiste par un autre, islamisé, ne fait que traduire ce besoin de se rattacher à une croyance rationnelle. En fait de foi, il ne s’agit que de remplacer une lecture irrationnelle du monde par une autre. Yahvé, Dieu, Allah n’ont rien à voir à l’affaire. Ils ne sont que des marques permettant de différencier les camps ainsi créés.
L’existence d’une autorité spirituelle supérieure, médiateur entre Dieu et les hommes, en la personne du Saint-Père des catholiques, menace cette conception de la religiosité light. Elle porte également en elle une plus grande menace, qui alimente tous les terrorismes depuis de quatre ans. En s’attaquant à la religion sans s’attaquer aux croyants, en schématisant la foi de l’ennemi pour lui asséner son credo démocratique, l’Occident dresse contre lui des peuples d’une grande piété. Des peuples pour Yahvé, Dieu et Allah portent encore une foi… Des peuples qui ne comprennent pas l’athéisme ou l’agnosticisme de l’Occident.
1.11.04
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire