Il n’est guère de quotidiens européens qui, depuis deux jours, ne titrent sur l’ouverture des négociations en vue de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne : « Timidement », « avec un frein d’urgence », « par la porte étroite », « sous surveillance », « choc »… A bien y regarder, la Turquie fait peur. Mais de quoi s’agit-il au juste ? De sa diversité culturelle ? Il est vrai que bon nombre d’arguments ne sont pas sans rappeler les appels à résister à l’établissement d’une république islamique en Europe, ces anathèmes lancés dès les premiers signes d’indépendance bosniaque… On sait ce qu’il en est advenu… Face à la Turquie, on ne peut que remarquer son regard, cinq fois séculaire, vers l’ouest, avec la même insistance qu’Eugène de Savoie, dans la cour du palais royal de Buda, regarde vers l’est. Cette peur ancestrale du Turc recouvre pourtant quelques réalités qu’il ne faudrait oublier : depuis 1926, elle est un pays laïc, adepte du code civil suisse, mâtiné par les usages orientaux. Mais Montesquieu ne disait-il pas que le modèle démocratique se modifiait sous le soleil… De plus, depuis 1952 , la Turquie représente le flanc sud de la sécurité européenne. Depuis 1963, elle est candidate à la candidature à l’Europe, partenaire commercial et « bon élève » pour son adaptation au régime communautaire.
Cela suffit-il pour en faire un pays européen ? Personne ne veut répondre à cette question, tant il est préférable que le doute subsistât. Une munition médiatique pour maintenir ce suspens qu’apprécient tant les démocrates-chrétiens européens. Un vert allemand d’origine turque, élu au parlement de Strasbourg, apportait ce matin sur Euronews un autre argumentaire ; il s’agirait d’un pays musulman en voie de démocratisation et il était salutaire que l’Europe l’aide. L’essentiel est dit. Le marché, c’était bon pour les PECO (pays d’Europe centrale et orientale). Pour les Turcs, c’est le néo-colonialimse, l’infantilisme à la sauce américaine. La bonne conscience de l’Occident se libèrera si la Turquie devient le premier pays musulman à bénéficier de la démocratie occidentale… Parasitée par les effets conjugués du 11 septembre 2001 et de la crise irakienne, la construction européenne en a oublié de se centrer sur des objectifs européens.
Pour autant, l’Europe a-t-elle les moyens d’intégrer de nouveaux pays, retardant d’autant son renforcement institutionnel ? Les craintes émises avant l’entrée des dix derniers membres ne sont-elles plus fondées ? Le poids de l’affect est-il aussi important ? Le problème de la nature institutionnelle de la Communauté, devenue Union, a toujours repoussé à plus tard la définition de sa nature intrinsèque. La fin de la Guerre froide l’a à peine amené à reconnaître ce pour laquelle elle avait été créée, un marché où les biens, les personnes, les capitaux et les idées circulaient librement ; l’Union économique et monétaire, pilier maastrichien, est sa plus belle réussite et l’euro son unique réalisation à ce jour. La convention n’a même pas voulu trancher entre fédération, confédération, nations. Quant au risque d’intégrer les dix d’Europe centrale, laissant précautionneusement la Bulgarie et la Roumanie à des négociations ultérieures, après des adhésions limitées (6, 3, 2, 1, 3), il a été pris en souvenir de la trop longue séparation de la Guerre froide. La Turquie souffre-t-elle du même déficit affectif ? A en croire les doutes et les exemples historiques douteux émis ces derniers jours, on peut en douter. Tout juste peut-on reprocher à l’Europe, sur insistance du président français de l’époque, Charles de Gaulle, sa décision de signer les accords d’Ankara, donnant ainsi un espoir de devenir un jour membre, sans le faire suivre d’effets.
7.10.04
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