La guerre en Irak a montré combien il était important de maîtriser les « forces profondes » pour mener une action politique. La donnée qui n’était pas clairement établie tenait en la possibilité d’une existence d’une opinion publique à la fois contraire et internationale. Comme le notait Jacques Freymond, il y a vingt ans, « le cadre étroit des chancelleries est définitivement brisé, même si on continue à se servir des ressources documentaires qu’il offre. C’est sur le dialogue que l’homme d’État mène avec la société, sur l’influence des forces profondes, des facteurs économiques, des comportements collectifs, sur la psychologie du décideur, l'ambiance dans laquelle se prennent les décisions, sur le rôle des circonstances que l'accent sera mis. » [« L'histoire des relations internationales vingt ans après », Relations internationales, No. 41, printemps 1985, p. 6].
Pour autant, l’enseignement du comportement de ces « forces profondes » dans un contexte de manipulation des esprits n’est pas encore apparent. La campagne présidentielle américaine devrait pourtant porter à la réflexion. Dans un échange du débat d’hier soir, opposant les colistiers, le démocrate John Edwards, a sérieusement tancé le vice-président républicain, Dick Cheney. La voix grave, il avait défendu l'invasion de l'Irak, dont il avait été l'un des principaux architectes. "Ce que nous avons fait en Irak était exactement la chose à faire", a-t-il affirmé. Ce conflit doit être examiné "dans le contexte de la guerre globale contre le terrorisme" lancée après les attentats du 11 septembre 2001, a-t-il insisté. "Encore une fois, le gouvernement n'est pas honnête avec les Américains", a aussitôt répliqué M. Edwards. Selon lui, la "pagaille" créée par la guerre dans ce pays a détourné les Etats-Unis de la lutte contre al Qaîda et des menaces internationales que représentent la Corée du Nord et l'Iran. "Il n'y a pas de liens entre les attentats du 11 septembre et Saddam Hussein", a affirmé le démocrate, avant d’ajouter : "Et vous sillonnez le pays en suggérant qu'il y a une relation".
M. Cheney a réfuté avoir "suggéré" qu'il y avait "un lien entre l'Irak et les attentats" de 2001 mais affirmé de nouveau qu'il existait "une relation avec al Qaîda". Ce faisant, il a contredit les propos prononcés la veille par le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, qui avait affirmé ne pas avoir de "preuve forte et formelle" d'un lien entre l'ancien dictateur irakien et le réseau terroriste de bin Laden. M. Rumsfeld a fait ensuite marche arrière en affirmant avoir été mal compris.
Trois ans après les attentats et un an et demi après le déclenchement de la guerre en Irak, combien même le nombre des mille morts américains ait été dépassé, la côte de popularité du président George W. Bush, pour ce qui en est des affaires étrangères, reste élevée. Pourtant, il a menti au peuple américain sur l’Irak, sur Saddam Hussein, sur les Armes de destruction massive (ADM). Il s’agit du résultat d’un aspect de la bataille de l’information, appliquée au front intérieur. Celui qui ne doit jamais céder. Pendant toute la période qui court du printemps 2002, au lendemain des opérations en Afghanistan jusqu’à mars 2003, date du déclenchement des opérations en Irak, le message de l’administration américaine a été redondant. Il a fini par faire résonance avec l’opinion publique américaine, au point de lui enlever tout sens critique. Ainsi, à l’été 2004, alors que tout avait été dit sur les manipulations des informations par les services de renseignement américains, la majorité des Américains croyaient encore en une collusion entre al Qaîda et Saddam Hussein. Voilà qui éclaire d’un autre jour les atermoiements de John Kerry, le candidat démocrate à la présidence, sur la question irakienne et ses difficultés à décoller dans l’opinion.
On touche là la principale contradiction de la première puissance, militairement et économiquement, au monde. Elle dispose des meilleures universités au monde, mais son éducation secondaire est délabrée. Pourtant, 90 % des élèves américains la fréquentent. Et de leur formation, ou non, dépend leur capacité à participer, ou non, à la vie démocratique. A remplir leurs fonctions de « forces profondes » qui conditionnent l’action politique. En 2000, lorsque George Bush en avait fait l'un de ses chevaux de bataille sous la forme d'un slogan : "No child left behind" (littéralement "Aucun enfant laissé en arrière"). Rapidement engagée, la réforme du système éducatif américain a débouché, en janvier 2002, sur une loi issue d'un consensus politique. Le No child Left Behind Act, volumineux ensemble de 1 100 pages, redéfinit l'équilibre des pouvoirs en matière d'éducation, taillant une part belle au gouvernement fédéral, alors que le sujet demeure une prérogative des Etats et des districts locaux. Hantée par l'amélioration de l'efficacité du système, cette loi repose essentiellement sur deux piliers : la mise en place de tests destinés à mieux évaluer chaque établissement ; la liberté offerte aux parents d'élèves de transférer leurs enfants dans l'école de leur choix, en cas de graves carences, soit vers une autre école publique traditionnelle, soit vers une entité publique à gestion alternative (charter school). Mais, en 2003, les deux tiers des élèves américains du quatrième grade (l'équivalent du CM1) et du huitième grade (l'équivalent de la quatrième) n'avaient pas de compétences suffisantes en mathématiques et en lecture. Sans compter de significatives disparités envers les "minorités": au huitième grade, seulement 7 % des élèves noirs américains et 11 % des Américains d'origine hispanique avaient ces compétences dans les écoles bénéficiant de subventions fédérales.
6.10.04
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire