Depuis quelques jours, la crise des otages laisse apparaître une internationalisation que d’aucun ne voulait pas soupçonner. Les médias ont successivement annoncé l’intervention de la Jordanie et la Syrie dans les négociations de libération des deux jeunes Italiennes et les pourparlers autour des deux Français et leur chauffeur syrien. Ces deux pays riverains de l’Irak sont naturellement impliqués dans les affaires irakiennes depuis le renversement de Saddam Hussein. La logique tribale bédouine peut être invoquée pour le premier pays, la solidarité baasiste pour le second. Plus généralement, les services de renseignement des deux pays sont en Irak pour des raisons de sécurité nationale autant que pour renseigner leurs homologues occidentaux. Les liens de la Jordanie avec les Etats-Unis sont connus. La position syrienne est moins évidente.
La résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 2 septembre dernier, à l’initiative des Etats-Unis et de la France, après les menaces du président Bush de faire de la Syrie une cible de la « mission démocratique américaine », montre la ligne fragile sur laquelle se meut Bachar al Assad. Dirigeant jeune, il doit gérer les héritages de la guerre froide laissés par son père. La plus problématique est évidemment le Liban. Nonobstant des revendications historiques plutôt fondées, d’autant que les communautés maronites à l’origine de l’indépendance libanaise sont de plus en plus minoritaires, ce pays reste une ligne avancée de défense. Bien sûr, le retrait israélien du Liban sud d’il y a quatre ans a montré les limites de la sécurité qu’offrait l’occupation. Toutefois, dans ce jeu israélo-syrien, le Liban reste une valeur sûre. L’armée de l’air syrienne y est toujours interdite de vol et l’armée de terre reste cantonnée au nord du Litani. Ces conditions de sécurité sont celles imposées en mai 1976 par Israël comme condition à l’intervention syrienne dans la guerre civile libanaise. Qu’il y ait ou non de plan Kissinger formalisée (le Liban devenant la nouvelle patrie des Palestiniens), que Beyrouth ait été en voie de succomber aux sirènes de Moscou alors que Damas avait l’oreille de Washington, que Hafez al Assad ait ou non succombé à sa peur de voir Israël faire le travail importe finalement peu. Toujours est-il que cette intervention s’est faite avec l’aval des Etats-Unis, le secrétaire d’Etat Henry Kissinger avalisant lors du sommet du G 7 de Porto Rico, le 27 juin 1976, l’occupation syrienne du début du mois. De même, les Etats-Unis ont permis à la Syrie de faire main basse sur le Liban en autorisant les opérations aériennes contre le palais de Baabda, où se trouvait le général Michel Aoun, Premier ministre devenu Président de la république faute de candidat. C’était en marge des opérations diplomatiques de la Première Guerre du Golfe…
La résolution 1559 peut surprendre par sa participation française. L’explication la plus plausible est politique et se trouve à Beyrouth, dans un soutien à la position de Rafic Hariri, le perpétuel Premier ministre depuis les accords de Taïf, à quelques mois près ; ce dernier refusait la prorogation du Président pro-syrien Emile Lahoud, arrivé en fin de mandat. L'échec de la mission Julia n'est aucunement à mettre sur le compte d'une querelle franco-syrienne ; il ne faut pas oublier que cette initiative a été initié depuis Damas, où le parlementaire français disposait d'une liberté de circulation plus qu'appréciable et d'un évident appui des services de renseignement militaire syriens.
Militairement, si ce n’est son caractère non-contraignant, le texte du Conseil de sécurité risque de s’apparenter à un nouveau coup d’épée dans l’eau, comme l’avait été la résolution 520, du 17 septembre 1982, trois jours après l’assassinat par des factions pro-syriennes du président élu Bachir Gemayel. En effet, ni la France, ni les Etats-Unis n’ont les moyens de le faire appliquer. Par ailleurs, les positions syriennes évoluent depuis le retrait israélien du Liban sud. Le premier redéploiement syrien a eu lieu un an plus tard, en juin 2001, un deuxième en avril 2002 et deux autres en 2003. Ces mouvements avaient permis le retrait de la plus grande partie des forces syriennes déployées à Beyrouth et dans ses environs et leur regroupement dans la Bekaa. Depuis le 21 septembre, un nouveau redéploiement concerne les troupes stationnées dans la montagne au nord et au sud-est de Beyrouth et dans les régions du Liban nord.
Aujourd’hui, la Syrie se trouve face à un sérieux dilemme au Liban. D’un côté, elle ne peut se passer de la pépinière de richesse qu’est le petit Etat, pourvoyeur d’emploi, notamment dans le bâtiment, à une main-d’œuvre syrienne jeune et désœuvrée. De l’autre, elle ne peut plus financer cette occupation sans s’exposer à une vague de mécontentement populaire libanaise. Le revirement de Rafic Hariri est explicite sur ce point. Le risque d’une crise politique induite par une présence syrienne trop voyante profiterait au Hizballah, instrument originellement pro-syrien mais répondant idéologiquement de l’Iran. Autant dire que le retrait syrien exposerait le Liban à une nouvelle guerre avec Israël.
5.10.04
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