19.10.04

La peur de la paix

Israël a plus à craindre de la paix que de la guerre. Voilà peut-être une explication des plus iconoclastes pour expliquer la plus longue guerre « civile » (au sens où les guerres franco-prussienne de 1870, puis franco-allemandes de 1914-1918 et 1939-1945 l’étaient) du monde… Au-delà de l’apparente provocation du propos, on peut retenir la symbolique biblique (Luc 22.28-30) ; Israël n’est-elle pas un Etat démo(théo)cratique ! La société israélienne n’a jamais été autant fracturée qu’aujourd’hui. Elle n’est plus cette communauté de Sabras des origines. Cette émanation occidentale est aujourd’hui multiculturelle. Naguère, seuls les Arabes israéliens étaient perçus comme étrangers, les Palestiniens n’existant pas dans les discours des dirigeants. Aujourd’hui, les Falachas, les « juifs » russes, les représentants des nouvelles Alyas, ces montées en Israël faites à l’appel des rabbins plutôt que de l’Agence juive, les juifs orthodoxes de toutes émanations, les colons… fractionnent par leurs particularismes le rêve légitime de l’Etat hébreu. Chacun estime être le représentant légitime du souffle de Théodore Herzl et de David ben Gourion. Cette fragilité se retrouve dans chaque moment de paix, pour disparaître dans chaque attentat, dans chaque opération militaire de Tsahal.
Lorsque que disparaissent les tensions avec les Palestiniens, il se trouve toujours un extrémiste pour relancer l’« union sacrée ». On se souvient de la visite mouvementée, un vendredi 28 septembre 2000, du candidat du Likoud, Ariel Sharon. Pourquoi ce déplacement d’Arik a-t-il relancé l’Intifada ? Pourquoi agite-t-il depuis lors la promesse d’un Etat palestinien, tout en maintenant la pression sur Yasser Arafat, pour mieux le repousser six à huit mois plus tard ? Pourquoi avoir relâché Chaykh Yassine pour le faire assassiner en mars 2004 ? Certes, à la base, il y a un des pires ratages du Mossad. En septembre 1997, des agents du service d’espionnage israélien tombent aux mains des autorités jordaniennes après avoir tenté d’assassiner un autre dirigeant du Hamas, Khaled Machaâl, à Amman. Pour obtenir leur libération, l’Etat hébreu sera contraint de relâcher des dizaines de prisonniers palestiniens, dont le fondateur tétraplégique du Hamas. Bien sûr, sept ans ont passé entre les deux événements. Mais les désordres qui en étaient consécutifs, comme tous les événements tragiques depuis dix ans renforçaient la peur dans les rangs de la société israélienne afin d’exorciser les effets d’une paix mal préparée et mal pensée.
Hier, Shimon Peres, a affirmé craindre un assassinat d’Ariel Sharon dans le contexte du débat passionnel qui divise le pays sur le plan de retrait de la bande de Gaza du Premier ministre. En « Une » du quotidien Maariv, les propos du chef de l’opposition travailliste israélienne, « Je crains pour la vie de Sharon » font écho aux déclarations de la veille du chef de la diplomatie, Sylvan Shalom. « L’incitation à la violence est terrible, comme aux jours qui ont précédé l’assassinat d’Yitzhak Rabin », a affirmé M. Peres. « Je crains que quelqu’un tente de perpétrer un attentat contre le Premier ministre, j’espère que les services de sécurité ont compris la leçon (du meurtre de Rabin) et assurent parfaitement la sécurité du Premier ministre » a ajouté M. Peres.
Le 25 octobre, M. Sharon doit soumettre à l’approbation de la Knesset son plan de retrait de Gaza en dépit de la forte opposition qu’il suscite. Israël doit commémorer le 27 octobre, conformément au calendrier hébraïque, le neuvième anniversaire de la mort de Yitzhak Rabin. Le 4 novembre 1995, Igal Amir, un agitateur et provocateur connu de la police de Kiryat Arba, du groupe Eyal co-fondé avec Avishai Raviv, avait assassiné le Premier ministre ; il marquait ainsi son opposition aux accords israélo-palestiniens d’Oslo, comme un autre extrémiste de cette implantation voisine d’Hébron, Baruch Goldstein, le 25 février 1994, avait ouvert le feu sur des Palestiniens priant dans le caveau des patriarches. Les responsables des services de sécurité israéliens ont mis en garde, depuis l’été dernier, contre des menaces d’assassinat d’Ariel Sharon par des extrémistes de droite opposés à son plan de retrait.
Ce plan rencontre une forte opposition au sein du Likoud, sa propre formation, et de l’extrême droite, alors que la majorité des deux cent cinquante mille colons juifs installés dans les territoires palestiniens ont juré d’y faire échec, accentuant le climat passionnel autour de cette question. Depuis leur rencontre, dimanche soir, avec Ariel Sharon, les dirigeants des colons estiment la rupture consommée. La veille, la télévision publique a diffusé les images sans précédent u Premier ministre se rendant à une réunion des élus de sa formation au parlement, entouré dans les couloirs de la Chambre par plus d’une dizaine de gardes du corps. Il se dit déterminé à mettre en œuvre, d’ici à 2005, son plan qui prévoit l’évacuation de la bande de Gaza et de ses vingt et une colonies juives et celle de quatre colonies isolées du nord de la Cisjordanie.
Les milieux extrémistes orthodoxes forment une nébuleuse complexe, très organisée, menant depuis les années 1980 une « stratégie de la tension », qui a culminé avec la violente cabale contre Yitzhak Rabin à partir des accords d’Oslo. Des liens informels existent avec le Likoud, les adeptes du rabbin Meir Kahane s’étant notamment vu confier des « actions » par certains hommes politiques. En suivant la montée en puissance des manifestations à partir de 1993, on découvre le rôle de certains leaders de droite, de Benyamin Netanyahou à Ariel Sharon, qui ont laissé agir ces extrémistes religieux, leur apportant même un soutien implicite lors de nombreux meetings. La dernière grande manifestation, un mois avant l’assassinat de Rabin, est révélatrice : Netanyahou y salue une foule qui hurle « A mort Rabin » en brandissant des affiches représentant le visage du Premier ministre les yeux crevés, collé sur le corps d’Himmler en uniforme nazi. Aujourd’hui, les cris ont repris… Reclus dans leurs quartiers de Jérusalem, dans les colonies, ils vivent comme des « autistes », influencés par des rabbins qui évoquent à propos de Sharon, comme ils l’avaient fait à propos de Rabin, le rin rodef — principe du Talmud s’appliquant à un persécuteur qui mérite la mort. Trois étudiants en religion avouèrent pendant l’enquête qu’un rabbin leur avait dit que cette loi s’appliquait à Rabin et qu’il serait prêt à le supprimer.

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