20.10.04

L’Intifada pour rien

Si la société israélienne a peur de la paix, il est clair que la société palestinienne présente les mêmes conditions de fragmentation des états d’esprit. L’illusion de paix consécutive aux accords d’Oslo a vite disparu dans les politiques des différents gouvernements israéliens, notamment d’Ehud Barak et Benjamin Netanyahou, oscillant sempiternellement entre offres de paix et mesures sécuritaires. Et puis il y a eut l’imposture de Camp David. Pendant seize jours, négociateurs palestiniens et israéliens, coachés par une Administration américaine en pleine période électorale, ont abordés les questions de frontières, de réfugiés et de Jérusalem. Ces trois nœuds gordiens de la question israélo-palestinienne ne sont pas les plus importants, ils sont toutefois les plus symboliques. C’est pourquoi elles ont été abordées dans les deux dernières journées. Mais de « plan Clinton », il n’en fut jamais, où sinon dans la médiatisation qui entourait cette seconde édition du coup Begin-Sadate. Les idées échangeaient lors de ces rencontres étaient parasitées par le climat américain. La médiatisation qui l’entourait contribua à confier la responsabilité de l’échec à Yasser Arafat, alors que la réunion ne prévoyait pas d’arriver à un accord quelconque. Camp David apparaît comme une étape de la démission israélienne face au problème et de son passage pour solution aux Etats-Unis. Ainsi s’expliquerait la connivence apparente entre Ariel Sharon et George W. Bush, matérialisée par neuf rencontres hautement médiatiques. Les événements du 11 septembre 2001 n’ont rien fait pour arranger les choses.
La question palestinienne est entrée dans une virtualité complète ; qu’on y regarde de plus près et l’on s’apercevra combien la situation dans la région paraît plus calme, comparée à l’Irak. Même l’Afghanistan serait un havre de paix. La bataille de l’information menée par Israël, consécutivement aux opérations militaires dans la bande de Gaza et à la construction du mur en Cisjordanie, a permis de faire taire l’opinion publique internationale, à tout le moins de lui faire détourner les yeux. Périodiquement, il est vrai, des poussées de fièvre ramènent sur les écrans de télévision une erreur militaire, liée à un déficit du commandement, en raison de l’absence de politique clairement définie de la part du gouvernement. Et les bulldozers deviennent des chars, pendant que les écoles s’affirment en refuges de terroristes et les brancards s’apparentent à des missiles…
Sur le terrain, la question palestinienne n’est pas virtuelle. Les opérations militaires sont tous azimuts, alliant aussi bien retrait sur les positions de repli négociées à Oslo, sans en respecter naturellement le calendrier, que siège de la Mukata’a, risquant de faire du reclus de Ramallah un martyr, tout en appelant l’Autorité palestinienne à arrêter les terroristes et, dans le même temps, en bombardant les quartiers des forces de sécurité palestiniennes, où sont les prisons… La seconde Intifada est responsable de cette situation. Il ne s’agit pas seulement des lanceurs de pierre, mais bien de l’enchaînement qui a mené à ce que des jeunes filles se transforment en bombes humaines. Ce processus commence avec la désillusion de Camp David, se poursuit avec la visite de Sharon sur le Mont du Temple, en pleine période électorale israélienne, à l’issue de laquelle l’Intifada a été déclenchée.
Après quatre années d’Intifada, l’échec palestinien est patent. La reprise du mouvement de 1987-1989 devait permettre de relancer le processus de paix au terme de trois objectifs : la premier était qu’après le meurtre de mille Israéliens, Israël s’effondrerait, tout comme Sharon ; le deuxième était que l’Intifada armée allait libérer la Palestine ; le troisième était que l’Intifada mettrait un terme à la colonisation. L’ancien Premier ministre palestinien, Mahmoud Abbas (Abou Mazen), négociateur accepté des Israéliens et des Américains, le reconnaît lui-même dans une interview du 27 septembre, donnée au quotidien jordanien « Al-Rai ». Seulement Sharon n’est pas tombé, devenant même le leader le plus populaire de l’histoire du pays, après avoir le ministre de la Défense le plus vilipendé, suite à l’affaire libanaise de Sabra et Chatila, en 1982. De même, toutes les terres palestiniennes sont aujourd’hui occupées et en danger, et les colonies ont presque doublé. Les palestiniens ont détérioré leurs relations avec les Américains et avec l’opinion publique israélienne.
« La dernière déclaration du Quartet est une illustration supplémentaire de ce qu’il est advenu de nous », notait Mahmoud Abbas. Lors d’une réunion informelle à New York, le 22 septembre dernier, les Nations-Unies, les Etats-Unis, la Russie et l’Union européenne tiraient les conclusions de l’incurie de l’Autorité palestinienne, notamment son impossibilité à développer une politique gouvernementale. Ils encourageaient aussi « Ariel Sharon pour son intention d’engager un retrait de toutes les colonies de Gaza et de certaines parties de la Cisjordanie, [réaffirmant] que le retrait de Gaza [devait] être total et mené conformément aux dispositions de la Feuille de route, en tant qu’étape visant la fin de l’occupation israélienne commencée en 1967. Cet objectif [devait] être atteint par des négociations directes entre les parties, avec pour but deux Etats : Israël et une Palestine souveraine, indépendante, viable, démocratique et dotée d’un territoire d’un seul tenant, vivant l’un à côté de l’autre dans la paix et la sécurité. »
La sévérité du Quartet à l’égard des Palestiniens ne tenait pas du part-pris, mais de l’exaspération après tant d’années de perdues, de part et d’autres, dans la poursuite de l’Intifada. Mahdi Abbas déclare même : « Je pense aujourd’hui que l’Intifada dans sa totalité était une erreur et qu’elle n’aurait pas du perdurer, et en particulier ce qu’on a qualifié de militarisation de l’Intifada. (…) Nous devons remplir nos obligations telles qu’elles ont été détaillées dans la Feuille de route et dans la Loi fondamentale, et nous devons convaincre le monde que nous avons rempli nos obligations et que Sharon doit remplir les siennes. Dans la mesure où aujourd’hui le monde entier nous condamne au lieu de condamner Sharon. »

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