22.10.04

Le risque terroriste

Jusqu’au 11 septembre 2001, le monde de l’après-Guerre froide vivait dans une espèce de torpeur quant à sa sécurité. Les services de renseignement étaient en proie à une crise morale importante, tandis que les populations appréhendaient l’avenir au jour le jour. Le règne de la société de consommation avait commencé. C’était sans compter avec les « terrae incognitae »… Les Groupes islamiques armés (GIA) en France en 1995, puis al Qaïda contre les Etats-Unis à partir de 1998, rappelaient que le risque existait et qu’il convenait de l’aborder autrement que comme un simple fait divers. La première guerre du Golfe avait contribué à la formation d’un terreau extrémiste, fondé sur l’humiliation d’une population musulmane fragmentée qui se voyait comme une communauté — l’umma’. Les conflits de Bosnie, du Kosovo, de Tchétchénie et d’Afghanistan firent le reste. Armes, drogues, coran attirèrent alternativement fanatiques, jeunes gens paumés et gamins de banlieues du monde entier. Le risque terroriste existait, mais il ne se fondait pas sur un nihilisme apparent, magnifié par le 11 septembre 2001, mais sur un sentiment d’humiliation de sociétés post-coloniales en perte de repères. L’anti-occidentalisme rejoignait l’anti-capitalisme de l’ultra-gauche (c’est une manie en France de ne pas appeler les choses par leur nom, de qualifier ainsi d’ultra tout ce que l’on veut dénigrer, l’extrême gauche, le néo-libéralisme ailleurs…) européenne, dont les thèmes exposés au Forum social européen de Londres, le week-end dernier, ont sensiblement ébahis certains auditeurs.
Rebondissant sur la bulle médiatique qui ne cesse d’exploser depuis le 1er mai 2003, l'Institut international des études stratégiques (IISS) a estimé, dans son rapport annuel sur l'équilibre militaire mondial, que la guerre en Irak a accru, au moins à court terme, le risque terroriste pesant sur le monde occidental. Prouvant une fois de plus que l’analyse universitaire est aisée lorsqu’il s’agit d’aller dans le sens du vent, il stigmatise également le manque de planification par Washington de l'après-guerre irakien.
D’après ce rapport, al Qaïda serait présent dans plus de soixante pays. De plus l'islam radical progresserait en Europe de l'Ouest, où les musulmans se sentent souvent marginalisés. L'IISS note que « globalement, les risques terroristes contre les Occidentaux et les intérêts occidentaux dans les pays arabes semblent avoir augmenté après le début de la guerre en Irak, en mars 2003. (…) Avec l'invasion militaire et l'occupation de l'Irak, les Etats-Unis ont démontré leur désir de changer le statu quo politique dans le monde arabe pour promouvoir les intérêts stratégiques et politiques américains ». La nébuleuse al Qaïda « tente, entre autres choses, de purger le monde arabe et, au-delà, musulman, de l'influence américaine ». L'intervention américano-britannique en Irak a dès lors « renforcé à court terme le recrutement de “djihadistes” et intensifié la motivation d'al Qaïda, ainsi que l’aide (apportée) à des opérations terroristes ».
L’Europe est, reste et demeure pourtant le lieu où se fomentent ces activités, tant dans l’embrigadement que dans l’action. Les cellules du 11 septembre venaient de Hambourg, mais avaient été recrutés dans les communautés musulmanes en voie de ré islamisation d’Europe occidentale. Celles du 11 mars 2003 n’étaient pas madrilènes, mais venaient d’Italie, de Suisse et d’Allemagne. Le commando du marché de Noël de Strasbourg opérait depuis Francfort. Cette centralité allemande n’est guère mise en avant. Mais les importantes communautés turques forment autant de refuges à des trafics de toute sorte, depuis la prostitution à la drogue, en passant par les armes et… le terrorisme. Toutefois, cette dernière activité n’a pas pignon sur rue. Cependant, elle découle de la petite criminalité, de la marginalité d’une jeunesse « d’ailleurs ». La Belgique est un autre refuge en Europe continentale, dans ses porosités frontalière avec l’Allemagne. Son réseau autoroutier permet des passages rapides vers les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la France. Ces trois destination ont leurs particularités propres : la première recèle le plus grand port européen, Rotterdam, lieu de convergence des flux à destination et en provenance du monde entier ; la seconde est un centre de refuge, où l’absence d’immatriculation identitaire permet la plus totale des libertés de circulation, au moins aussi sûr que les pays nordiques, et d’endoctrinement ; la dernière est plus problématique, la longue guérilla islamiste algérienne ayant « grillé » tous les réseaux de soutien, les services de police étant plutôt sensibilisés au risque terroriste, mais les voies de passage restent encore libres.
Au centre de ces trois pays se trouvent encore la Suisse, où l’anonymat des débuts de la téléphonie portable comme de la banque a attiré tous les criminels que porte la terre, pour un passage humain et un séjour financier,et le Luxembourg, où la criminalité est aussi fleurissante, malgré la sécurité bancaire. Une explication s’impose concernant ce pays d’immigration. L’Association des musulmans au Luxembourg s’est formée au détour des années 1990 lorsque le pays est devenu un refuge pour les populations bosniaques opprimées par la guerre. Un risque de déstabilisation du Grand-Duché avait couru lorsque les champs entourant l’aéroport international du Findel s’étaient couverts de baraquements de toile. Deux raison à cela : d’abord les conditions de contrôle des populations n’étaient pas les meilleures, en raison de l’afflux journalier de réfugiés, rendant presque impossible le comptage des entrants et des sortants ; ensuite, le nombre de Bosniaques commença à se rapprocher du total de la population locale, Luxembourgeois et résidents étrangers mêlés. Une évacuation sur la France, la Belgique et l’Allemagne s’imposa. Ainsi s’est dressée un réseau mafieux qui couvre l’Europe entière et alimente les banques luxembourgeoises. Parmi ses animateurs se trouve l’Association des musulmans au Luxembourg, dont les connexions avec des groupes islamistes d’Allemagne, notamment de Cologne et de villes proches du territoire grand-ducal sont connues.



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