Pendant que l’or noir enflamme les cours et les esprits, hésitant entre fatalisme d’un troisième choc pétrolier et nécessité d’européaniser les stocks d’urgence de l’Union, il est une autre ressource nettement plus belligène, l’eau douce de qualité. Le pseudo-réchauffement de la terre, mis en avant par les écologistes et autres anti-mondialistes, n’y est pour rien. Depuis un siècle, les besoins en eau potable ont augmenté deux fois plus vite que la population mondiale. A ce train-là, dans vingt ans, ils auront progressé de 650 % ! Selon les Nations-Unies et l’UNESCO, en 2025, un tiers de la population mondiale manquera d’eau consommable sans risque sanitaire.
De nombreux facteurs expliquent cette fragilité du système hydrique mondial. En premier lieu, l’évolution de la population vers une urbanisation de plus en plus métropolitaine engendre un gonflement de la consommation d’eau douce de qualité sans mesure avec les disponibilités naturelles. Déjà, Madras en Inde, Bangkok en Thaïlande ou Santa Cruz aux Etats-Unis puisent l’essentiel de leurs besoins dans les nappes souterraines. Non seulement la pollution les touche autant que les eaux de surfaces, exploitées par une agriculture intensive (engrais) et pour couvrir les besoins de consommation humaine, mais les spécialistes ignorent leur mode de renouvellement.
Les guerres d’aujourd’hui et demain, mieux que les perspectives de guerre urbaine de la dernière décennie, prennent déjà en compte cette pénurie annoncée. Un des facteurs de déstabilisation du Proche-Orient, tant à l’égard de l’Autorité palestinienne qu’à celui de ses voisins, tient à la politique aquifère de l’Israël. De la Méditerranée au Jourdain, le sous-sol, quel qu’il soit, appartient toujours à l’Etat hébreu, engendrant un stress hydrique parmi les populations palestiniennes expliquant mieux que le fanatisme islamique la violence terroriste. Le contrôle par Tsahal des sources du Jourdain, du Yarmouk et de Litani explique la crise avec la Syrie à propos du château d’eau qu’est le plateau du Golan. L’accord de paix avec la Jordanie comprenait un volet important concernant le partage des eaux du Jourdain frontalier et du lac de Tibériade. Plus au nord, la tension est grande entre la Turquie et ses voisins syrien et irakien à propos des eaux du Tigre et de l’Euphrate. Sous prétexte de développer le sud-est anatolien, le Great Anatoli Project (GAP), mieux connu sous le nom de barrage Atatürk, pose un problème à l’agriculture des pays en aval des fleuves. Le stress hydrique est pour le moment contenu, les besoins de chacun sont plus ou moins respecté. Mais tout le monde se souvient que le remplissage du bassin de retenu Atatürk a provoqué, en 1990, un assèchement du lit de l’Euphrate pendant presque un mois.
Les autorités de régulation compétentes, tant l’ONU que l’office international de l’eau, ont recensé mille huit cents litiges autour des bassins fluviaux de la planète, dont trois cents pouvant engendrer un risque de guerre. Autour du Nil s’affrontent le Soudan, l’Ethiopie et l’Egypte ; on ne compte plus les années de sécheresse, ni les déstabilisations dans la région. Le Sénégal est également un enjeu frontalier pour la Mauritanie et le Sénégal ; là encore, des tensions se font régulièrement jours. Le contrôle de l’Amou-Daria et du Syr-Daria oppose l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizstan et le Kazakhstan. Dans une moindre mesure, les relations américano-mexicaines sont tributaires des rapports qu’entretiennent les deux pays à propos des eaux d’un Colorado surexploité et pollué.
Les guerres civiles des « Terrae incognitae » engendrent également des questions de stress hydrique. Les massacres de la région des Grands-Lacs, en 1994, tenaient plus au difficile partage des ressources des eaux entre les populations locales, des pêcheurs, et réfugiées, des ruraux. La juxtaposition des cartes de réfugiés et de ressources aquifères laisse facilement apparaître les zones de tensions à venir. Il faut également tenir compte des fragilités internes des régions sèches et des conditions de distribution/retraitement des eaux. Au Pakistan, en Inde ou en Bolivie, des émeutes liées au stress hydrique ont régulièrement lieu. Des conséquences politiques peuvent émerger, amplifiant la déstabilisation. En 1988, le Front islamique du salut (FIS) algérien s’est habilement emparé des émeutes liées à une distribution hasardeuse de l’eau pour entamer sa course vers la victoire électorale avortée et le chaos…
Les mesures de contrôle, directs ou indirects, à l’instar du pétrole, se sont développées. Des troupes américaines stationnent dans la région de la « triple frontière » entre l’Argentine, le Brésil et la Paraguay. Officiellement présentes pour parer à toute menace terroriste, elles occupent une région abritant une des réserves d’eau douce les plus importantes du monde, l’aquifère guarani. D’après les estimations, elle pourrait permettre de donner trois cents litres d’eau douce par jour à trois cent soixante millions de personnes pendant des années sans que son niveau baisse, soit la moitié de la consommation américaine, ou le quart de la moyenne mondiale). La première économie mondiale se trouve face à un double dilemme : d’une part, elle développe la riziculture en Californie, des villes-oasis en plein désert, avec piscines, golfs et pelouses, voire des réservoirs en plein désert, sans souci d’évaporation, d’autre part l’Ouest américain est soumis depuis de longues années à une sécheresse, les nappes phréatiques se vident et les eaux de surface sont polluées. Après le refus canadien de leur vendre de l’eau douce, les Etats-Unis sont dans l’impasse.
Face à l’incurie se trouve l’ambitieux « barrage des Trois Gorges » chinois. Moyennant l’ennoiement de trésors archéologiques (comme à Assouan, sans le même souci touristique) et le déplacement de millions de personnes, la Chine s’est lancée dans le détournement des eaux du Yangzi pour l’amener dans le Nord et le Nord-Ouest du pays, où les populations souffrent de la pénurie d’eau douce, par trois canaux parallèles de mille trois cents kilomètres. Ils transporteront en volume l’équivalent du débit journalier du fleuve.
En France, les questions d’ennoiement des mines de fer de Lorraine, si médiatiques pour les populations qui ne souhaitent pas voir disparaître leur « patrimoine » industriel, affûtent de longue date les appétits des distributeurs d’eau. Un château d’eau se fait jour sur le bassin versant nord de la Moselle. Mais personne n’en parle, préférant mettre en avant d’hypothétiques affaissements que seul le refus de laisser l’eau soutenir les parois rocheuses peut éviter. Quant à la rumeur laissant entendre que la pollution rendrait impropre à la consommation cette eau, elle n’est que le moyen utilisé par les entreprises pour cacher leur appétit…
25.10.04
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