Un trait commun de la guerre contre le terrorisme en cours à travers les trois mondes avec la défunte Guerre froide est cette capacité à modifier la forme des conflits pour les faire entrer dans le cadre du combat pour la Liberté ou le reléguer à l’oubli le plus total. La crise du Darfour, en cours depuis une année, a d’abord été rapidement analysée par les médias comme un avatar de la lutte entre Soudanais arabe blancs du nord et Soudanais africains noirs du sud, un des fronts de l’islam conquérant contre la chrétienté. Au moment de placer le Darfour sur une carte, à l’est du pays, a permis de classer cette famine comme un avatar de la vie en « terrae incognito ». De même, l’Asie du sud-est, qui n’en finit pas de régler ses comptes avec les effets de sa décolonisation, présente quant à elle l’intérêt d’être un comptoir et la particularité de disposer d’une population musulmane, la première au monde même, donc d’être al-Qaîdaisable.
Tel n’est pas le cas du continent oublié qu’est l’Afrique subsaharienne, et il y a peu de chance qu’elle le soit. Non qu’al-Qaîda n’y ait pas été (n’y soit encore) actif, comme le rappellent les attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, le 7 août 1998. Non plus que l’islam ne soit point présent, il est même conquérant, poussant depuis le nord-est (d’où la présence d’activistes et de financements saoudiens) vers l’Afrique centrale, menaçant les croyances animistes et chrétiennes. Les événements du Nigeria ne concernent en rien le pétrole, mais ils sont une émanation tectonique de ce « choc des civilisations », tel que le définissait faussement Samuel Huntington ; le fait est plutôt ethnique, sur lequel se greffe un phénomène religieux, résultant du degré d’occidentalisation du pays, et répond à un équilibre politique interne. On est plus proche alors de l’antagonisme entre Druzes et Maronites dans le Liban de la deuxième moitié du XIXe siècle ; les premiers, peuplade agraire, reprochaient aux seconds leur opulence commerciale, fruit de leur contact avec l’Europe.
La déstabilisation de la région des Grands-Lacs répond à une autre logique. Il ne s’agit pas de frictions interethniques fondées sur une culture dominante en déclin et tendant à être remplacée par la culture dominée. Toutes se livrent ici à une activité pastorale et partagent les mêmes croyances animistes. Toutefois, les sous-sols recèlent des richesses minérales utiles à l’industrie et à la production de richesses occidentales. Au nord du Burundi se trouve un oxyde d’étain, la cassitérite, qui comporte les mêmes vertus de conductibilité que le tungstène… et l’avantage d’être moins cher. De ce fait, il représente un enjeu de la prochaine mutation informatique, support de notre civilisation de la communication. Plus au sud, du Zaïre à l’Angola, en passant par le Congo, se sont les diamants… Au début des années 1990, ces minerais ont commencé à prendre une importance stratégique. Des compagnies de mercenaires se sont implantées dans ces régions. Les activités de Simon Mann, qui a fait l’actualité pour un coup d’Etat raté il y a quelques semaines, l’avaient porté, avec son entreprise Executive Outcomes, à se lancer dans l’industrie minière à l’est du Zaïre. La guerre civile n’avait pas tardé et, Mobutu chassé, Kabila père assassiné, l’exploitation illégale des « diamants de sang » de continuer. Même chose au Burundi où, un an après le début de l’exploitation de la cassitérite, la déstabilisation politique continuait et devait conduire cinq ans plus tard, au génocide rwandais. Depuis, les violences n’ont pas cessé, et la production de cassitérite est encadrée par des mercenaires. Il va également pour le coltan, l’or, le bois… en Afrique ou ailleurs dans les « terrae incognito ». C’est le pétrole au Kabinda, le pipeline en Tchétchènie, les rubis en Birmanie, le pavot en Afghanistan, dont la production avait été éradiquée par les talibans et qui, depuis les opérations américaines, a repris de plus belle, ou le café en Colombie. Toutes ces solutions alternatives à la pauvreté, dans un sens comme dans l’autre, si elles faisaient l’objet de politique de développement, continueront à alimenter les flux clandestins à destination du premier monde, de l’Occident, parce qu’elles ne l’intéressent pas.
Son unique intérêt est de ne pas tarir cet approvisionnement. A moins que les conditions de production ne correspondent plus au scénario défini. Un exemple parmi les autres, le destin du populiste Chavez. A peine élu pour la première fois, il se mit en tête de faire du Venezuela l’Arabie saoudite d’Amérique latine. Le 10 août 2000, il se rendit à Bagdad, puis fit valoir ses prétentions, tel un parrain de série B, à la conférence de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) ; son intimidation ne porta pas et ses prétentions de hausse des prix ne firent pas l’unanimité au sein du club, où les partisans des Etats-Unis sont nombreux. Mis tous avaient compris ce qu’il se tramait : l’arme pétrolière, qui avait montré ses limites, tant comme moyen de chantage envers un Occident prompt à trouver des solutions que comme moyen de développement et de cohésion tiers-mondiste, était en train de se fourbir. Une volée de bombardements sur Bagdad et les premières tentatives de déstabilisation du pouvoir de Chavez réussirent à éloigner le danger. La hausse du prix du pétrole semblait ajournée sine die. C’était sans compter l’amateurisme de la planification de la campagne américaine en Irak…
Rien n’a donc changé dans la définition des buts de guerre à l’ère de l’hyperterrorisme nihiliste. S’emparer des territoires aux dépens de ses voisins, s’emparer de ses richesses restent toujours d’actualité. Qui a dit que la guerre était la prolongation de la politique par d’autres moyens ?
2.10.04
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