Personne ne niera l’importance des frontières dans l’histoire l’humanité. Elles ont emporté des empires, rassemblé des peuples, divisé des continents. Elles marquent la construction étatique et avancent généralement avec elle. La construction européenne ne saurait s’en affranchir. L’entrée de la Turquie pose sérieusement la question sur un plan politique. Une réponse, d’une portée dépassant largement le cadre de la seule postulante, devrait être apportée lors du Conseil du 17 décembre.
Kaliningrad, l'enclave portuaire russe située désormais entre deux Etats de l'Union, la Pologne et la Lituanie, pose un problème autrement plus pratique. Non seulement cette enclave russe engage deux entités économico-politiques différentes, mais elle oppose deux Etats antagonistes. La Russie relève une détérioration des conditions du transit de marchandises entre Kaliningrad et le reste de la Russie après l’élargissement de l’Union européenne, a déclaré, fin septembre, le représentant spécial du président russe en charge des relations avec l’Union européenne Sergueï Iastrjembski. Au cours d’une rencontre avec les représentants du gouvernement néerlandais en juillet dernier, la Russie avait déjà remis une lettre au pays président en exercice de l’Union européenne, dans laquelle elle se disait en droit de s’attendre à la mise en œuvre des engagements pris par l’Union. Pourtant, les droits de douanes perçus par les autorités lituaniennes avec ce pays-tiers augmentent, tandis que le nombre de postes de passage des convois ferroviaires composés dans la région de Kaliningrad se restreint. « Si autrefois la vérification des convois prenait près de cinq heures, aujourd’hui, les retards peuvent aller d’un jour à trois », a dit Sergueï Iastrjembski. Des problèmes ont aussi surgi en matière de contrôle vétérinaire et phytosanitaire.
Ces vexations ne font que caractériser la lente dégradation des relations entre les pays Baltes, Etats membres de l’Union européenne et de l’OTAN depuis le 1er mai 2004, et leur voisin russe, héritier de l’Union soviétique. A ne pas vouloir prendre en compte les derniers syndromes de la Guerre froide, comme on ne veut pas voir les implications stratégiques qu’implique l’entrée de la Turquie de l’Union. La Russie reste un acteur économique influent, notamment pour l’approvisionnement des trois anciennes républiques soviétiques en pétrole et en gaz et leur transit vers les marchés mondiaux ; trois sociétés russes se partagent ce monopole, Gazprom, Loukoïl et Youkos. Depuis janvier 2003, l'usage de l'oléoduc menant au port letton de Ventspils aurait pour seul objectif la prise de contrôle de ces installations par des intérêts russes, estiment divers experts. Mais elle est également un investisseur important, profitant de la garantie qu’offre la tutelle communautaire. Certaines banques baltes, le secteur immobilier ainsi que des ports, dont celui de Riga, par où transitent grains et acier russes, coton d'Asie centrale…, les chemins de fer lettons sont déjà sous contrôle russe. La Russie profite de la perpétuation des comportements de l’ère soviétique en termes de standards techniques, d'encadrement et de formation des personnels.
Parallèlement, l'intégration des Baltes dans l’Union n'a pas été suivie d'une normalisation des relations avec Moscou. Au contraire, une succession d'événements récents a montré qu’une certaine pression était maintenue sur ces Etats. Divers dossiers sensibles sont aux mains de Vladimir Poutine. Avec Vilnius, il s'agit de la question du transit vers Kaliningrad, où la Russie réclame un régime plus souple. Avec la Lettonie et l'Estonie, les minorités russophones qui y vivent sont suffisamment importantes pour que Moscou refuse de signer des traités frontaliers pourtant finalisés depuis plusieurs années. L'espionnage — neuf diplomates russes ont été expulsés des capitales baltes, sous ce motif, depuis février — et la violation répétée de l'espace aérien estonien par des appareils militaires russes font partie de la panoplie utilisée par la principale puissance régionale. La corruption de la classe politique balte, même si cette réalité reste difficile à établir avec clarté, est aussi une pratique courante. Elle est d’autant plus facilitée que celle-ci est en partie composée d'hommes d'affaires. L'Estonie semble moins touchée. A cela s’ajoute le poids de la mafia russe, qui profite de ce pied dans l’Union européenne pour monter des opérations de blanchiment d'argent. Quand ces pratiques d’influence ne suffisent pas, le FSB entre en scène. En Lituanie, une bataille de l’information a eu lieu autour de Rolandas Paksas, élu à la présidence de la république lituanienne, en 2003, avec l'aide d'un homme d'affaires d'origine russe aux connexions interlopes remontant jusqu'à Moscou. Il a finalement été destitué en avril 2004.
9.11.04
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