26.11.04

La guerre des deux Viktor

La situation ukrainienne ne cesse d’interpeller. Sommes-nous face à une révolution à la roumaine ou à la chinoise ? Quel intérêt, me direz-vous ? L’une n’était qu’une pantalonnade pour Occidentaux, où apparatchiks de toutes espèces espéraient sauver leur niveau de vie par n’importe quel moyen, la collusion étant la meilleure d’entre toute. L’autre signifie une dure reprise en main par le pouvoir en place. L’Ukraine n’est pas une démocratie, loin s’en faut, ce qui pourrait laisser entendre que la seconde solution serait possible. Mais la Russie, seule puissance à pouvoir soutenir, puis justifier cette évolution, n’a pas les moyens de se mettre à dos la communauté internationale. L’Ukraine est un régime bananier, véritable « Lunapark » pour milliardaires russes, après l’avoir été pour les membres du comité central d’Union soviétique. La mafia est présente à tous les niveaux de la société ukrainienne. Elle a pignon sur rue, ne se cachant même pas.
La lutte de l’orangiste Viktor Iouchtchenko est celle d’une Ukraine européenne, plutôt catholique ruthène. La résistance du Premier ministre sortant, Viktor Ianoukovitch, témoigne d’une histoire récente marquée par la présence russe, pas soviétique, mais orthodoxe. L’Ukraine est une Bosnie en puissance, terre de marge entre l’Europe et l’Asie, si l’on admet que l’Oural est peut-être une frontière géographique mais pas politique. De tout temps, la Russie a été considérée comme une nation de barbares, au même titre, et peut-être même pire, que la Turquie ottomane. La profondeur stratégique de ce « heartland » l’exclut d’une lecture européenne. C’est un espace géopolitique tourné vers l’Asie, ses velléités d’accès aux mers chaudes, via le Caucase ou l’Afghanistan, son ouverture sur le Pacifique, via la Mandchourie, en témoigne. Il n’est pas anodin qu’après la guerre de Crimée, tous les espoirs des tsars se soient portés sur la Sibérie, jusqu’au coup d’arrêt de Vladivostok. Seule la folie de Hitler a permis à la Russie, devenue soviétique, de revenir en Europe. Mais c’était une erreur de lecture géopolitique. La Guerre froide a cristallisé pour cinquante ans la situation en Europe centrale et orientale.
La guerre des deux Viktor, ou la révolution orangiste, n’est qu’un rappel que l’équilibre de l’Europe se compte en fractures que ne comprennent pas les organisations internationales nées de l’ordre international établi en 1945, que ce soit le Conseil de l’Europe ou l’OTAN. Il s’agit aujourd’hui de construire l’Europe, territoire à la géographie variable selon les lectures historiques, mais aussi entité politique qui se cherche. Du sort de la pièce qui se joue à Kiev conditionnera plus l’avenir que le sommet du 17 décembre sur la Turquie. La réponse que les chefs d’Etats et de gouvernements feront à Ankara en sera peut-être différente…

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