9.12.04

Dommages collatéraux

L’offensive américaine contre Faluja a eu une conséquence inattendue dans le processus de déliquescence du système communautaire irakien : l’embrasement de la violence communautaire à l’égard de la minorité chrétienne. Certes, les menaces existaient depuis bien avant. L’exode démographique la frappait autant qu’en Syrie, au Liban ou en Palestine. Mais l’Irak de Saddam Hussein paraissait une parenthèse pour la chrétienté arabe, comme si la laïcité du régime la préservait des affres de la cohabitation musulmane. La première Guerre du Golfe avait certes bouleversé la donne, imposant plus d’une décennie de blocus. Mais il ne s’agissait que de conditions matérielles, pas culturelles et encore moins cultuelles. Les chrétiens n’étaient pas remis en cause en tant que chrétiens, ou de détenteurs d’une protection particulière, par l’argent ou le régime. Seulement leurs revenus baissant, ils n’avaient souvent pas d’autre solution que de s’en aller, avant la ruine. Et au diable la communauté… Il y a plus de Chaldéens aux Etats-Unis qu’entre le Tigre et l’Euphrate.
Le 1er août dernier, cinq églises de Mossoul et de Bagdad furent l’objet d’attaques de la résistance irakienne. Ces attaques avaient fait douze morts et soixante-et-un blessés. Les services de renseignement ont établi que la main de Zarkawi n’était pas étrangère à ces actes. « C'est terrible et très préoccupant », avait déclaré le Père Ciro Benedetti, porte-parole adjoint du pape. « C'est la première fois que des chrétiens sont pris pour cible », avait-t-il ajouté, et il fallait y voir « le signe d'une volonté d'accroître la tension, alors que l'Eglise catholique a toujours été en première ligne pour la paix ». On se souvient que le siège de Nadjaf avait lieu et le nonce apostolique, Mgr Fernando Filoni, avait proposé la médiation du Saint-Siège.
Les attentats perpétrés le 16 octobre contre des églises à Bagdad ont réveillé les craintes de la petite communauté chrétienne d'Irak. Des bombes artisanales ont explosé près de cinq églises de Bagdad en moins de deux heures, avait déclaré un porte-parole du ministère de l'intérieur irakien, faisant état de dégâts, mais pas de victimes. Cette fois, il ne s’agissait pas d’entraver l’action diplomatique mais simplement d’une contagion de la violence incontrôlée qui ensanglante le pays et l'impuissance totale des autorités irakiennes… Le résultat était le même : à la peur succède le départ.
Beaucoup de chrétiens, depuis Bassora jusqu’à Bagdad, avaient fui les violences pour se réfugier dans le nord, à Mossoul. Deux mille familles avaient ainsi quitté la cité portuaire du golfe arabo-persique pour le Kurdistan à l’hiver 2003-2004. Selon les autorités irakiennes, au moins quinze mille chrétiens irakiens, sur un million (3 % de la population totale) ont déjà quitté le pays depuis le mois d'août. L’assaut américain contre Faluja a amené Zarkawi a prendre à son tour le chemin de Mossoul. Avec lui, de nouvelles attaques contre les chrétiens se sont produites. La police ayant perdu le contrôle de la ville, plus de mille cinq cents membres d'un groupe de chrétiens irakiens du Mouvement démocratique assyrien en Irak ont été envoyés dans le nord de l'Irak pour protéger les chrétiens de cette région après la série d'attaques qui a visé des églises à Bagdad et Mossoul. Ils se sont déployés à Bagdida, près de la ville de Mossoul, a expliqué le 4 décembre leur chef, Yonadem Kana, membre du Conseil national irakien. « Nous ne voulons pas transformer notre mouvement en milice », a-t-il assuré. « Mais s'il le faut, nous pouvons armer plus de dix mille hommes ». En visite en Syrie, Yonadem Kana a expliqué que son mouvement n'avait pas l'intention de déployer des combats dans d'autres villes irakiennes et qu'il n'avait pas besoin de la protection des forces de la coalition. « Nous n'accepterons pas que notre passé ethnique et religieux soit utilisé comme une carte dans les mains de forces étrangères pour agir en Irak et prolonger l'occupation ».
A moins de deux mois des élections irakiennes, prévues le 30 janvier, une réunion sur la sécurité rassemblant des délégués de dix-huit factions irakiennes, dont celle de Yonadem Kana, et des experts onusiens, a été organisée lundi en Jordanie.

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