14.12.04

Grozni-Bagdad Bahn

Lors d’un colloque dans les locaux du Parlement européen, peu après les attentats du 11 septembre 2001, le politologue lyonnais Jean-Paul Joubert avait affirmé, devant un auditoire incrédule, que la puissance russe était morte avec l’Union soviétique. Devant les objections de ses collègues et de certains participants, il confirma ses propos, insistant sur l’illusion qu’entretenaient les pays occidentaux, au premier rang desquels se trouvaient les Etats-Unis et leur croisade contre le terrorisme. Les années ont passé et l’illusion perdure dans les médias occidentaux. La Tchéchènie est devenue un des nombreux repères d’al Qaïda. Mais, depuis dix ans, les événements du Caucase ne font que confirmer, jour après jour, l’inexorable altération de la puissance russe. Depuis dix ans, l’armée russe mène un combat sanglant et peu honorable, loin de toute couverture médiatique, autorisant toute exaction, de tous côtés. Depuis dix ans, des soldats russes meurent pour une cause qui ne vaut pas qu’un homme meurt : l’apparence de la puissance.
Le conflit tchétchène a cela de commun avec l’Afghanistan. La poussée russe vers les mers chaudes est un fantasme politique remontant à la Moscovie de Pierre le Grand. Et le Caucase a été sa première destination. Mais la première militaire s’est toujours heurtée à la résistance militaire de populations attachées à leur dignité, à leur indépendance. La religion n’a rien à voir à l’affaire. Pas plus qu’al Qaïda d’ailleurs. Le fait que Moscou se cache derrière ce paravent ne fait que confirmer les propos de Jean-Paul Joubert…Tout comme la rebuffade ukrainienne de ce week-end. En jouant encore une fois l’embrasement religieux à l’intérieur de cette terre de marges impériales (austro-hongroise et russe), Moscou a une nouvelle fois essayé de faire dégénérer la situation, afin de pouvoir se maintenir. Cette stratégie du chaos, qui n’est pas sans rappeler les participations russes aux forces de stabilisation en ex-Yougoslavie, dans les années 1990, reste sa seule carte de puissance.
C’est un peu la stratégie utilisée en Irak depuis le déclenchement de la guérilla. Mieux, depuis l’arrestation de Saddam Hussein, il y a un an. L’opinion publique, puisque ce conflit est couvert de toute l’attention du monde, comme l’était l’Ukraine, craignant certainement une nouvelle mise en scène à la Roumaine, est frappée par le même constat d’impuissance qui frappe l’armada américaine. Là encore, pour toute justification, le commandant américain, George W. Bush en tête, agite le spectre d’al Qaïda. Mais une explication religieuse ne peut masquer la volonté d’une solide résistance, organisée en son centre sur des bases propres à la structure sociétale du pays, dont le dénominateur culturel est fort (sunnite, chi’ite ; nomades, urbains), et livrée dans sa périphérie à toutes les entreprises criminelles et macabres. A trop rechercher Zarkawi ou l’implication de l’Iran, on perd de vue l’objectif des résistants baas’istes. Les Américains ont font l’expérience chaque jour, comme les Russes en Tchétchénie. Malgré leurs expériences conjointes du Vietnam et de l’Afghanistan, ils se refusent toujours à l’envisager…

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