22.12.04

Ils sont libres

« Les otages français retenus au Liban ont été libérés »… C’était le 4 mai 1988 au soir, Jacques Chirac, Premier ministre sortant, terminait son dernier meeting de province en vue du second tour des présidentielles. Les derniers otages français, Marcel Carton, Marcel Fontaine et Jean-Paul Kauffmann, sont arrivés à Villacoublay le lendemain matin.
Hier, en fin d’après-midi, Al Jazira a la première, évidemment, annoncé la libération de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, enlevés le 20 août au sud de Bagdad. Quatre mois, cent vingt-quatre jours auparavant, la même chaîne qatarie avait annoncé leur enlèvement par un groupe islamiste qui réclamait l’annulation de la loi sur la laïcité, interdisant notamment le voile islamique à l’école publique, et donnait quarante-huit heures à Paris. La chaîne avait diffusé deux vidéos montrant les journalistes qui annonçaient être détenus par l’« Armée islamique en Irak ». Le 30 août, dans une nouvelle vidéo diffusée par Al Jazira, les deux otages avaient appelé à manifester contre la loi sur la laïcité car leur vie était en danger. L’ultimatum avait été prolongé de 24 heures.
Le 6 septembre, un communiqué diffusé sur Internet demande à Paris de satisfaire trois conditions pour la libération des otages, dont l’acceptation d’une trêve proposée par Oussama Ben Laden et le versement d’une rançon. Deux jours plus tard, l’« Armée islamique en Irak » démentait réclamer une rançon. Toutefois, le 14 septembre, sur son site Internet, elle accusait la France de « crime » et la qualifiait d’« ennemie des musulman ». Sur cette confusion, largement entretenue par le battage médiatique orchestré par les autorités politiques (ballets diplomatiques et entretien télévisé sur Al Jazira pour Michel Barnier) et religieuses (appels des responsables musulmans et voyage à Bagdad) françaises, se greffent le départ du général Philippe Rondot, de deux équipes de la DGSE, qui renforcent le bureau monté à Bagdad après la chute de Saddam Hussein, et du couple Brett-Julia. Le « bruit » réalisé par l’équipée de ces derniers devait couvrir l’action des premiers. Toutefois, l’action militaire américaine contre Faluja avait mis fin à tout espoir de libération rapide.
Se posent alors la question du rôle joué par les autorités proaméricaines au pouvoir à Bagdad, mais aussi par des pays de la région, notamment de la Syrie, qui a délivré des visas à Didier Julia et à ses assistants, et de l’Iran, dont un diplomate a été enlevé puis relâché en août par l’Armée islamique en Irak. Si ce dernier pays a aidé la France, il est clair que cette prise d’otages atypique, puisque n’ayant donné lieu à aucune revendication liée à la situation irakienne, a compliqué les rapports avec Bagdad. Le gouvernement irakien d’Iyad Allaoui a été marginalisé les tractations menées par la France avec les groupes de la résistance. La visite que le président intérimaire irakien, Ghazi al-Yaouar, devait effectuer en septembre à Paris n’a toujours pas pu avoir lieu. Elle devrait finalement se concrétiser à la mi-janvier. La crise a également suscité le malaise chez certains de nos partenaires européens militairement engagés en Irak. Mais aucun n’a émis de critiques publiques.
Le 5 octobre, le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier affirmait que les ravisseurs avaient interrompu le « 30 septembre » le processus de libération, qui paraissait alors « être dans sa phase finale ». Le 13 octobre, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, annonçait que les otages étaient « en vie » et que des « contacts indirects » avaient repris avec les ravisseurs. Au mois de novembre, beaucoup d’indices avaient poussé les diplomates à penser que les deux journalistes se trouvaient dans le secteur de Latifiya, à quarante kilomètres au sud de Bagdad. Un camionneur égyptien, pris en otage en Irak et relâché le 13 novembre, avait déclaré à l’AFP avoir été détenu, jusqu’à sa libération, avec deux Français. « J’ai été enlevé le 20 octobre et détenu ensuite dans une maison à Latifiya où se trouvaient dans la chambre à côté deux Français, dont j’entendais les voix », indiquait-il. Il ajoutait que les deux Français étaient toujours détenus au même endroit lorsqu’il a été libéré. « J’entendais les ravisseurs parler le soir. L’un d’eux a dit, “déplaçons les Français à Faluja”, mais quelqu’un d’autre a dit, “non, ce sera dangereux”, c’est comme ça que j’ai eu confirmation qu’ils étaient Français», a-t-il précisé. La veille, le chauffeur des deux Français, Mohammad Al-Joundi, avait été retrouvé vivant à Faluja par les forces américaines. Le 24 novembre, Reporters sans frontière (RSF) confirmait l’information. Cinq jours plus tard, en France depuis cinq jours, le chauffeur pouvait annoncer que les otages pourraient être « bientôt » libérés.
Le 20 décembre, les événements s’accélèrent. Michel Barnier assure avoir la « conviction » que les deux journalistes « sont en vie » et en « bonne santé ». Le lendemain, l’« Armée islamique en Irak » affirmait avoir libéré les otages. Quelques minutes plus tard, le porte-parole du ministère des affaires étrangères français confirmait l’information, Christian Chesnot et Georges Malbrunot ayant été réceptionné par l’ambassadeur de France. La consigne d’éteindre les téléphones portables a aussitôt servi de couvre-feu médiatique, alors que le couvre-feu tout court empêche les déplacements. Certaines sources affirment que la surprise ne devait être annoncée qu’à l’arrivée des deux hommes à Paris, prévue aujourd’hui. Mais la bonne nouvelle a quand même transpirée…
Les conditions de l’enlèvement de Christian Chesnot et Georges Malbrunot restent obscures. Et le communiqué de l’« Armée islamique en Irak » pour expliquer la décision de relâcher les deux hommes n’a rien éclairci : « La preuve a été faite qu'ils n'espionnaient pas pour le compte des forces américaines, affirme le texte. Leur libération correspond à des appels d'organisations musulmanes en appréciation à l'attitude du gouvernement français sur la question irakienne comme celle des deux journalistes sur la cause israélienne. »
On ne parlera pas de la rançon versée ; rappelons que les Italiens avaient libéré leurs otages féminines contre quarante millions d’euros. On ne retiendra que ce bel hommage du ministre français des Affaires étrangères à l’égard des hommes de la DGSE : « J’ai eu le privilège de travailler pour cette libération avec des hommes et des femmes à Bagdad, dans la région, à Paris, des fonctionnaires, des agents de l’Etat de plusieurs ministères, celui de la défense et naturellement le Quai d’Orsay en particulier, qui ont fait honneur au service de l’Etat. Qu’ils sachent personnellement ma gratitude ».

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