22.12.04

Le récit des tractations

Jour après jour, l'histoire des contacts esquissés, des espoirs déçus, des rumeurs contradictoires, pour tenter de libérer Christian Chesnot et Georges Malbrun

Par Christophe BOLTANSKI et Didier FRANCOIS
mercredi 22 décembre 2004
Bagdad envoyés spéciaux

La libération des deux journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot, obtenue hier à Bagdad, couronne un long travail de coordination entre le ministère des Affaires étrangères et les services français de renseignements extérieurs. Une quête patiente d'informations mise à mal fin septembre par l'intervention intempestive du député Didier Julia et de Philippe Brett, son représentant au Proche-Orient. A la suite de cet incident, qui avait provoqué le repli brutal de l'Armée islamique en Irak, les émissaires officiels se sont attachés à renouer discrètement les fils du dialogue avec les ravisseurs. Leur obstination a d'abord permis d'arracher deux vidéos prouvant que les otages étaient toujours en bonne santé. De nouveaux contacts indirects puis de courts messages, via l'Internet, ont enfin pu mener à cet heureux dénouement. Retour sur les six premières semaines de l'enlèvement.

Vendredi 20 août: Chesnot et Malbrunot partent pour Najaf

Dans la ville sainte de Najaf, le bras de fer se durcit. Les miliciens chiites de l'Armée du Medhi, retranchés dans le mausolée doré de l'Imam Ali, défient depuis maintenant trois semaines les troupes de la coalition. Les marines américains, sommés d'en finir avec la révolte des fidèles du jeune imam radical Moqtada Sadr, clament l'imminence d'un assaut. Les envoyés spéciaux basés à Bagdad se doivent de rejoindre la ville assiégée. Christian Chesnot, Georges Malbrunot et leur guide, Mohamed al-Joundi, prennent la route au matin. Les deux journalistes n'ignorent pas les risques encourus. Pour se rendre à Najaf, depuis la capitale irakienne, il faut traverser deux bourgades sunnites, Mahmoudiya et Latifiya, fiefs de groupes clandestins qui se sont spécialisés dans l'enlèvement d'étrangers.

Samedi 21 août: silence radio

Avant leur départ de Bagdad, les deux journalistes avaient fixé un rendez-vous téléphonique avec leurs rédactions parisiennes. Pour les prévenir dès leur arrivée. Ils ne les appelleront jamais.

Dimanche 22 août: l'enlèvement se confirme

L'ambassade de France à Bagdad et les services spéciaux français sont mis en alerte. Des journalistes activent leurs contacts au sein de la résistance sunnite. Sur le terrain, l'enquête commence auprès de la direction des Al-Douleimi Appartements, l'hôtel où logent Christian Chesnot et Georges Malbrunot. Le patron suit de près les va-et-vient de sa clientèle. «Laissez une note si vous ne dormez pas dans votre chambre. Pour votre propre sécurité», lit-on sur une pancarte rédigée en anglais qui pend au-dessus de la réception. Les renseignements fournis par le personnel sont confus et contradictoires. Un combattant rencontré il y a quelques mois au cours d'une enquête sur la résistance sunnite confirme à Libération que les deux journalistes ont été enlevés à Latifiya. «C'est sûr à 90 %», annonce-t-il après avoir établi un contact téléphonique avec le chef d'une équipe de ravisseurs. Rendez-vous est pris pour le lendemain matin.

Lundi 23 août: premier contact avec un intermédiaire

Arrivé à l'improviste, l'homme déclare, la mine sombre : «Ils ont été décapités !» Puis part d'un grand éclat de rire et tend une feuille de papier. En haut de la page figurent les noms de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot, suivis d'un simple «OK» et de leurs signatures respectives. Une preuve matérielle irréfutable. L'intermédiaire, activé la veille, est un drôle de personnage. Irakien, chef d'une petite troupe de résistants dans le sud de Bagdad, il a accepté de sonder les cellules clandestines de Latifiya. Des groupes qu'il connaît bien pour avoir déjà mené, avec eux, des opérations contre les forces américaines. Ce matin, il a rencontré le commandant de la zone sud pour l'Armée islamique en Irak, sorte de coordinateur qui aurait autorité sur les ravisseurs, puisque les Français ont été enlevés par ce mouvement radical d'obédience salafiste. Kidnappés par un commando spécialisé, Georges Malbrunot, Christian Chesnot et Mohamed al-Joundi auraient été confiés par cet «émir» local à une cellule de l'organisation spécialisée dans la garde des otages et «qui détient beaucoup d'autres gens, des gens très importants», dont le journaliste italien Enzo Baldoni.
L'intermédiaire, appelons-le Abou Abdallah, déclare que le chef du groupe sud est prêt à libérer les trois parce qu'il «n'a rien contre la France» et qu'il «souhaite aussi faire un geste envers le peuple italien». Il se propose de ramener Malbrunot et Chesnot le soir même, à l'entrée sud de Bagdad, avant les premiers barrages de police. Mais le cas de Mohamed al-Joundi, le chauffeur, pose problème. Les ravisseurs ont trouvé dans la boîte à gants de sa voiture un photomontage de son fils aîné en compagnie du général américain Mark Kimmit, l'ancien commandant en second des forces de la coalition en Irak.
«Dites-leur que nous sommes preneurs de tout le lot», fait répondre l'ambassade de France. La chancellerie se prépare à réceptionner les otages. Une entreprise de sécurité française accepte de louer deux voitures blindées, moins voyantes que les 4 x 4 à plaques diplomatiques. Vers minuit, Abou Abdallah annonce au téléphone le report de l'opération. «Avant de les rendre, il y a quelque chose qu'ils veulent voir à la télé», lâche-t-il sans autre précision.

Mardi 24 août: les otages sont transférés

Le rendez-vous se tient en plein jour, dans une rue très passante de la capitale. Abou Abdallah a pris place à l'arrière du véhicule. Il parle vite, avec nervosité. Les ravisseurs, dit-il, l'accusent «d'être un traître, un espion» et de chercher «à soutirer de l'argent» aux autorités françaises. L'émissaire s'emporte. «Ils vont décapiter tout le monde, s'en prendre à tous les étrangers. Personne ne sera plus en sécurité en Irak.» De ce flot de paroles, il ressort qu'une cassette vidéo aurait été transmise à la chaîne satellitaire du Qatar, Al-Jezira. «Ils auraient dû la passer. Ils ne l'ont pas fait.»
Le soir même, il rencontre pour la première fois des diplomates français dans l'ancienne résidence de l'ambassadeur, pillée après la guerre. Il promet d'intervenir à nouveau en faveur des otages. Le fait est que l'occasion de libérer rapidement Georges Malbrunot et Christian Chesnot vient d'être ratée. Les deux Français ont été transférés dans un nouveau lieu de détention, plus près de Bagdad, sous la garde d'une autre cellule de l'Armée islamique en Irak qui dépend directement de l'émir du mouvement.

Mercredi 25 août: nuit blanche

«Pour la Fiat, le moteur est cassé. Mais il n'y a pas de problème avec les deux Peugeot», annonce Abou Abdallah au téléphone. Il explique que les ravisseurs sont en route vers Bagdad avec leurs deux otages, mais qu'ils ont décidé de «prendre leur temps». Ils se trouveraient dans une planque en plein désert, près de la dépression d'Al-Milh, à une centaine de kilomètres de la nationale. Enzo Baldoni, en revanche, semble condamné s'il n'est pas déjà mort. «Ils vont le décapiter», affirmerait l'interlocuteur d'Abou Abdallah. A l'ambassade, on se prépare à une nouvelle nuit blanche. Mais, au petit matin, les ravisseurs ne se sont pas manifestés.

Jeudi 26 août: exécution du journaliste italien

Abou Abdallah doit s'expliquer. Lors d'une rencontre, il déclare d'abord que l'Italien a été tué d'une balle dans la tête, la veille, à l'aube. Ses assassins n'ont même pas attendu la fin de leur ultimatum. Abou Abdallah répète, contre toute vraisemblance, que les Français ont bien été relâchés mercredi. Devant l'incrédulité de ses interlocuteurs, il lâche qu'un «nouvel émir» a pris «récemment» la tête du groupe, un Irakien, mais qui a prêché pendant plusieurs années aux Emirats arabes unis. Un radical qui «bloque» la libération des Français. Il prônerait l'assassinat de «tous les étrangers», quels que soient leur nationalité ou le rôle de leur pays dans le conflit, mais serait prêt à faire une exception pour Christian Chesnot et Georges Malbrunot.
A l'évidence, de vifs débats divisent l'Armée islamique en Irak. L'intermédiaire panique, avoue qu'une partie des ravisseurs se méfient de lui. Il craint pour sa vie. «La situation est très dangereuse.» Le soir même vers minuit, Al-Jezira annonce l'exécution d'Enzo Baldoni d'une balle dans la tête. Abou Abdallah décide de prendre du large.

Vendredi 27 août: nouveau contact

Lors du prêche hebdomadaire, la mosquée attire de nombreux fidèles. Appelée Oum al-Touboul jusqu'à la chute de Saddam, elle a été rebaptisée Ibn Taymiya, du nom du père spirituel des fondamentalistes les plus durs. Dans son bureau parfumé à l'encens, les yeux cernés d'un trait de khôl, Cheikh Abdel Wahed al-Zaouba'i jure que la France est «un pays ami» du fait de ses positions «positives» à l'égard de l'Irak. Le secrétaire général adjoint du Comité suprême pour la prédication, l'orientation et la fatwa, se déclare confiant sur le sort des deux otages, promet d'agir. Les ravisseurs «vont vérifier qu'ils ne collaborent pas avec les Américains et, s'ils n'ont rien contre eux, ils les relâcheront», assure le bras droit de Cheikh Madhi al-Soumaïdaï, le chef de file des salafistes en Irak.

Samedi 28 août: Chesnot et Malbrunot sur Al-Jezira

La vidéo diffusée avant minuit sur Al-Jezira met fin à huit jours de silence public. Vivants mais prisonniers, Christian Chesnot et Georges Malbrunot posent l'un après l'autre devant la banderole noire de l'Armée islamique en Irak. Les ravisseurs ont trouvé une raison pour garder leurs otages. Ils donnent «48 heures» à la France pour retirer sa loi sur le port des signes religieux ostensibles à l'école, qualifiée «d'injustice et d'agression contre l'islam». A l'ambassade, c'est la consternation. Si, dans leur communiqué, les ravisseurs ne menacent pas explicitement les deux journalistes, les analystes qui suivent l'affaire estiment toutefois l'heure critique. Pas question de garder la moindre carte dans la manche. En pleine nuit, un autre intermédiaire irakien réveille les plus hauts dirigeants du Comité des moudjahidine à Fallouja. Cet état-major, qui regroupe les principaux groupes de la résistance sunnite dans la ville rebelle, avait assuré à plusieurs reprises à Libération, au mois de juillet, qu'il «ne serait jamais fait aucun mal à des journalistes français en Irak» et il s'engageait à «obtenir une libération rapide» en cas d'enlèvement, «même par des éléments étrangers». L'intermédiaire n'a pas froid aux yeux et rappelle cette promesse à ses chefs.

Dimanche 29 août: offensive diplomatique

Dès l'aube, une délégation de plusieurs émirs du Comité des moudjahidine se rend dans une cache de l'Armée islamique en Irak à Fallouja. Surpris et peu rassurés par cette visite impromptue, les activistes de la cellule locale promettent de contacter au plus tôt leurs supérieurs à Bagdad et Latifiya, pour leur transmettre le message des chefs de guerre : «Aucun mal ne doit être fait aux Français. Nous devons vous rencontrer.» Joint au téléphone, le grand émir de l'Armée islamique en Irak accepte de venir s'expliquer avant de se raviser au dernier moment.
A Paris, le gouvernement tient une réunion de crise présidée par le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. La France décide de lancer une vaste offensive diplomatique dans le monde arabo-musulman. «Il s'agit de mobiliser l'opinion arabe et irakienne pour tisser un filet de sécurité autour des deux journalistes français et obtenir le report de l'ultimatum», explique un responsable du dossier, «sinon, le pire peut être craint».
A Bagdad, les portes de l'ambassade de France s'ouvrent devant les deux chefs salafistes, le cheikh Abdel Wahed al-Zaouba'i et le docteur Sabah al-Qaïssi, devenus dans le langage diplomatique des «autorités morales et spirituelles». Les religieux sont porteurs d'une fatwa qui condamne l'enlèvement et appelle à relâcher les deux journalistes. Ils pensent que leur requête sera entendue par les ravisseurs, mais n'excluent pas l'intervention d'une «main cachée». Des «éléments venus hors des frontières» pourraient vouloir semer la zizanie.

Lundi 30 août: l'ultimatum est prolongé

En fin de matinée, l'intermédiaire de Fallouja se manifeste. Heureux. «L'Armée islamique en Irak va reporter son ultimatum, annonce-t-il, et engager des consultations avec les autres groupes de la résistance.» La vague d'indignation des dirigeants islamistes irakiens et arabes a légitimé la démarche des autres groupes armés. Les autorités françaises disposent désormais de plusieurs canaux qui, tous, relaient le même message. «Les ravisseurs s'engagent à ne pas tuer les Français.» Mais aucun contact direct ne permet de vérifier ces dires. Cheikh Mahdi al-Soumaïdaï se rend à Latifiya. L'entourage des ravisseurs se dit «touché» par la démarche du chef de file des salafistes, «figure honnête et respectable». Dans la mosquée Ibn Taymiya, le docteur Sabah al-Qaïssi est formel : «Nous avons la garantie que l'ultimatum va être repoussé de 48 ou 72 heures.»
Le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, entame au Caire une tournée des capitales arabes qui le mènera ensuite à Amman. Bernard Bajolet, ambassadeur de France en Irak, rentre à Bagdad.
Une seconde vidéo de l'Armée islamique en Irak est diffusée sur Al-Jezira. Christian Chesnot et Georges Malbrunot s'expriment brièvement. Un communiqué prolonge de 24 heures le délai accordé à la France «pour s'exprimer». Les ravisseurs ne réclament plus l'abrogation de la loi sur le voile.

Mardi 31 août: succession de messages contradictoires

A l'aube, un coup de téléphone de l'émissaire de Fallouja fait monter sérieusement la tension. «Les ravisseurs ont décidé d'exécuter les otages.» Pour seule explication : «C'est un groupe très difficile à manoeuvrer. Notre émir intervient personnellement.» Quelques minutes plus tard, nouvel appel. «Tout est rentré dans l'ordre. Nous ne les lâchons plus.» Quelques jours plus tard, un témoin des faits livre sa version de cet épisode. «Le chef de l'Armée islamique s'est trouvé sous une pression de tous les autres commandants. Ne sachant plus comment s'en sortir, il a ordonné à son lieutenant d'aller tuer les otages. Nos moudjahidine ont intercepté le lieutenant en lui disant que s'il transmettait ce message, il serait considéré comme infidèle puisque tous les imams irakiens ont appelé à sauver les Français, et aussi comme un espion des Américains. Il a compris que c'était une condamnation à mort et les discussions ont pu reprendre.»
A Bagdad, l'ambassadeur et toute l'équipe diplomatique multiplient les rencontres. Le Comité des oulémas, organisation très influente liée aux Frères musulmans, lance un appel solennel à la libération des deux journalistes français. Cheikh Mahdi al-Soumaïdaï, le chef spirituel des salafistes, se montre fort énervé. «Ces kidnappeurs sont des voyous.» A la fin de la journée, les moudjahidine de Fallouja obtiennent de dîner avec les otages. «Ils vont bien, ils ont mangé de la viande et regardent les chaînes de télévision par satellite.» Aucune preuve concrète ne vient étayer ces affirmations. «Les discussions sont compliquées. Deux membres du groupe voudraient réclamer de l'argent à la France pour acheter des armes. Tous les moudjahidine leur ont dit que ce serait une honte pour l'ensemble de la résistance, une victoire pour les Américains.»

Mercredi 1er septembre: rumeurs

Une rumeur fait état d'un nouveau déplacement des otages. Les services français de renseignements reçoivent de nouvelles assurances que «les otages sont en vie» et qu'«il n'est plus question d'ultimatum». Rien n'est sûr tant se multiplient les offres plus ou moins bien intentionnées. «Ce genre d'affaires suscite toutes sortes de propositions de services qui ne sont pas toujours désintéressées, regrette l'ambassadeur, mais nous ne pouvons rien négliger.»

Jeudi 2 septembre: délégation des musulmans de France

Une délégation du Conseil français du culte musulman arrive en visite officielle à Bagdad. Première erreur, les visiteurs oublient d'inclure un passage chez les salafistes alors qu'ils se montrent extrêmement courtois à l'égard des Frères musulmans. La gaffe est rattrapée in extremis. La délégation fera un saut par la mosquée d'Ibn Taymiya, qui se trouve sur la route vers l'aéroport. Deuxième bévue, les musulmans français se font l'écho d'une promesse polie de «libération imminente» faite lors de leurs rencontres. Ce témoignage de courtoisie proche-orientale est diffusé sans précaution par plusieurs chaînes de télévision puis repris par le ministre français de la Culture. A Bagdad, l'ambassadeur lance une mise en garde contre cet «emballement».

Vendredi 3 septembre: promesse du grand émir

Enfin, le grand émir de l'Armée islamique en Irak participe en personne aux discussions avec les émissaires de la résistance. Ce riche prédicateur irakien de 36 ans, originaire de la région de Latifiya, vit à Bagdad depuis son retour en Irak, en mai, après un long exil dans un pays du Golfe. Devant les autres chefs de groupe, l'homme s'engage à ne pas tuer ses otages et à ne pas demander de rançon. Mais il exige que les pressions cessent et dit vouloir garder la maîtrise des conditions d'une libération. «Je n'ai désigné ni médiateur, ni négociateur, affirme-t-il, personne n'a le droit de parler en mon nom.» Dans la nuit, les troupes américaines lancent une vaste offensive contre Latifiya.

Dimanche 5 septembre: demande de rançon

Un site Internet islamique met en ligne un communiqué attribué à l'Armée islamique en Irak qui exige une rançon de 5 millions de dollars et le respect par la France d'une trêve proposée par Oussama ben Laden. Un message que les experts français jugent peu crédible.

Mardi 7 septembre: revirement des ravisseurs

Le ton monte à nouveau. L'émir de l'Armée islamique en Irak accuse l'un des deux journalistes d'avoir entretenu des contacts avec les Américains. Les discussions durent toute la nuit avec les émissaires de Fallouja qui commencent à montrer un certain agacement. «Les ravisseurs changent sans arrêt d'avis.» Pour les salafistes, le docteur Sabah al-Qaïssi avait prévenu à demi-mot les diplomates français : «Des gens de l'extérieur ont amené avec eux des fatwas très dures. On est encore plus inquiet que vous.»

Mercredi 8 septembre: communiqué des ravisseurs

Après dix jours de silence, les ravisseurs publient trois communiqués sur un site Internet. Le premier message indique que «l'instance légitime de l'Armée islamique en Irak va annoncer prochainement sa décision concernant les otages français». Le groupe affirme qu'il «n'a donné mandat à personne pour négocier ou parler en son nom». Dans le deuxième message, les ravisseurs «affirment que le communiqué, diffusé par les médias à partir d'Internet, faisant état de trois revendications, dont une à caractère financier, sur la question des otages français est absolument faux». Un élément matériel ajouté au troisième message permet d'authentifier ce communiqué, la photo représentant le fils du chauffeur syrien aux côtés du général Mark Kimmit.
A Bagdad, Simona Pari et Simona Torreta, de l'association humanitaire Un pont pour Bagdad, sont enlevées en plein jour dans leurs bureaux.

Vendredi 10 septembre: le Quai d'Orsay se réorganise

Le Quai d'Orsay décide de réorganiser son dispositif diplomatique dans la région. La cellule de coordination mise en place lors du passage en Jordanie de Michel Barnier va quitter Amman pour Paris. «Nous nous apprêtons à gérer cette crise dans la longueur, sans exclure qu'un dénouement positif puisse intervenir d'un moment à l'autre», concède un responsable du dossier.

Samedi 11 septembre: un messager rassurant

Un ancien général irakien, chef d'un groupe de résistance nationaliste, explique que l'ensemble des organisations clandestines a décidé de laisser le Comité des moudjahidine traiter seul avec les ravisseurs. «Les otages ne courent plus aucun risque, assure-t-il, leur libération n'est qu'une question de temps. Les gens de Fallouja s'en occupent. Il faut les laisser faire.»

Jeudi 16 septembre: rôle de la Syrie

Deux ingénieurs américains, Jack Hensley et Eugene Armstrong, sont enlevés avec leur collègue britannique Kenneth Bigley dans leur villa du quartier Al-Mansour de Bagdad. Les ravisseurs des deux journalistes font poser aux officiels français une étrange question. «Le président Jacques Chirac a-t-il téléphoné personnellement à son homologue syrien, Bachar al-Assad, pour lui demander d'intervenir dans la libération des otages ?» L'intermédiaire de Fallouja insiste. «C'est important pour eux de le savoir.» Une délégation venue de Syrie serait entrée en contact avec l'émir de l'Armée islamique en Irak.

Samedi 18 septembre: espoir

Lueur d'espoir pour les otages. Les ravisseurs affirment «avoir mis fin à la détention des deux journalistes français et s'être entendus avec eux sur un travail avec l'Armée islamique pour une période limitée afin de couvrir les combats et les attaques que mène la résistance irakienne. [...] Les deux journalistes ont accepté, de leur plein gré et sans pression.» Aucun délai n'est toutefois fixé à cet «accord».

Dimanche 19 septembre: «Nos compatriotes sont vivants»

Les émissaires de Fallouja confirment que le communiqué de la veille émane bien de l'Armée islamique en Irak. Des détails du texte correspondent aux échos des débats internes au groupe. «Nos compatriotes sont vivants», déclare Dominique de Villepin.

Lundi 20 septembre : un Américain décapité

Une vidéo diffusée sur un site Internet islamiste montre la décapitation de l'otage américain Eugene Armstrong.

Mardi 21 septembre: un autre Américain exécuté

Un émissaire de Fallouja confirme que Christian Chesnot et Georges Malbrunot «sont bien considérés comme libres depuis samedi» et assure que l'Armée islamique en Irak veillera à leur sécurité. Leur «travail d'information ne devrait pas durer plus d'une semaine», estime l'émissaire.
«Les vaillants enfants de la nation ont égorgé le deuxième otage américain, Jack Hensley», annonce le groupe radical Tawhid wal Jihad.

Samedi 25 septembre: optimisme

L'émissaire de Fallouja se montre exceptionnellement optimiste. «Les choses devraient bouger dans les prochains jours», assure-t-il.

Lundi 27 septembre: un Iranien relâché

L'Armée islamique en Irak relâche un diplomate iranien qu'elle retenait depuis presque deux mois. «Les Français ne vont pas tarder, promet l'émissaire de Fallouja, ils ont terminé leur travail.»

Mardi 28 septembre: les Italiennes libérées

Des négociateurs jordaniens obtiennent la libération des deux jeunes humanitaires italiennes contre 1 million de dollars.

A minuit, l'émissaire de Fallouja appelle, surpris. Ses chefs viennent de voir sur la chaîne Al-Arabiya l'intervention en direct de Philippe Brett se présentant comme responsable «d'une délégation française chargée de négocier la libération des otages» et qui se dit sur le point d'aboutir, ayant «parlé directement avec les ravisseurs». A l'ambassade de France, on tombe des nues. Mais l'inquiétude est grande. D'autant que, rapidement, les spécialistes se forgent la conviction que Philippe Brett n'est pas entré en contact direct avec les ravisseurs.

Mercredi 29 septembre: l'ambassadeur accuse

L'ambassadeur de France, Bernard Bajolet, lance une violente charge contre Philippe Brett. «Ce pseudo-émissaire, cette personne qui n'a jamais été mandatée fait partie de ces mouches du coche qui flairent que quelque chose est en cours, sentent la sueur des autres et arrivent pour essayer de récupérer la mise.»

Jeudi 30 septembre: contact perdu

Un haut responsable de l'Armée islamique en Irak dément tout contact avec un quelconque émissaire français. Puis les ravisseurs ferment ce canal de discussion par lequel passaient quelques informations recoupées. Dans la nuit, Philippe Brett entre en Syrie dans un taxi venu de Bagdad. Les otages ne sont pas avec lui.

Dimanche 3 octobre: message et vidéo

«L'équipée de Julia et de Brett a gravement compromis les discussions en cours. Leur interférence est intervenue précisément à un moment où nous avions de très sérieuses raisons de penser que nous étions entrés dans la phase finale de ce drame», constate l'ambassadeur. A Paris, le gouvernement se sent obligé de rendre public le fait qu'il avait reçu, il y a une dizaine de jours, un film vidéo prouvant que les deux journalistes français étaient vivants et en bonne santé. Ce message avait été convoyé à Amman sur un CD-Rom par une source extrêmement sensible qui préfère se faire oublier pendant quelque temps.

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