7.12.04

La politisation du renseignement

Dans Le Figaro du 22 novembre 2004, l’ancien directeur général de la DGSE, Pierre Lacoste, publie une tribune sur « La politisation du renseignement ». Il tire les leçons de l’utilisation d’informations biaisées par le président américain et les Premiers ministres britannique et australien tout au long de la crise irakienne et pose le problème de la réorganisation de la CIA par Porter Gross, un affidé de George W. Bush. Etrangement, il n’évoque pas la nomination de John Scarlett, l’auteur des fameuses quarante-cinq minutes nécessaires au déploiement des armes irakiennes de destruction massive, à la tête du MI6 en mai dernier. Sans revenir sur le cortège de démissions que cette reprise en main idéologique du renseignement accompagne, depuis George Tenet jusqu’au critique Mike Scheuer, en passant par celui qui a assuré l’intérim de Tenet, John McLaughlin, le directeur des opérations, Steven Kappes, et son adjoint, Michael Sulick, ni rappeler l’hémorragie provoquée par le départ, annoncé à la presse dès le 3 août 2003, au début de l’affaire Kelly, du directeur du MI 6, Richard Dearlove, il est intéressant de mettre en perspective cette notion de politisation.
Elle fait l’objet dans le monde anglo-saxon d’étude nombreuse tant elle résulte du fait élémentaire que le renseignement est essentiel à la promotion de presque tous les intérêts politiques (y compris les siens propres), à l’exercice et à l’extension du pouvoir politique et militaire en général. L’idée d’une communauté du renseignement politiquement neutre est une chimère : elle ne fonctionne pas dans le vide politique. » Il s’agit là d’un paradoxe du fonctionnement démocratique anglo-saxon qui exacerbe la lutte pour influencer l’opinion, donc la politisation du renseignement, mais la contient et la limite aussi par le contrôle parlementaire. La conception traditionnelle qui sépare politique et renseignement s’oppose à la notion même de politique de renseignement. Les services n’ont pas à déterminer la part de savoir qui doit remonter vers le politique, c’est le contraire. Il n’y a pas de politique du renseignement apolitique : elle reflète nécessairement la vision politique de l’exécutif, et ce n’est pas plaider pour la politisation des services que de l’affirmer. Légalement le Président des Etats-Unis a le pouvoir d’établir une politique du renseignement et les procédures de contrôle afférentes.
Soucieuse de son image depuis les révélations des années 1970, la CIA veille également à ne pas être accusée de politisation. Afin de se dédouaner des erreurs d’appréciation qui pourraient lui être reprochée dans l’affaire irakienne, l’Agence a très tôt mis en avant cet argument et l’a publiquement fait savoir. En juin 2004, une table-ronde était réunie, à l’université de Georgetown, autour du thème : « Intelligence and Policy : The Evolving Relationship » et le compte-rendu a immédiatement été publié sur le site Internet du Center of Studies in Intelligence, une des fenêtres médiatiques de la CIA ouverte en 1991. Les experts réunis, tous professionnels du renseignement (en activité ou non) et de la décision politique, ont noté une mutation profonde du rapport entre Intelligence et Policy depuis la fin de la Guerre froide. Les politiques conçoivent de plus en plus le renseignement comme une activité de cabinet, un service ne leur permettant plus de se forger une opinion en vue d’une prise de décision, mais leur offrant la décision. Pour cela, ils jouent la concurrence au sein des quatorze agence formant la Communauté américaine du renseignement. De fait, ils accroissent le risque de politisation, c’est-à-dire qu’un service leur offre les informations demandées et non le reflet de la réalité. L’implication du directeur de la Communauté, sous les présidences Clinton et Bush, dans le processus israélo-palestinien ne correspond pas à une politisation de la fonction, simplement à son évolution.
Une telle évolution semble être propre au système culturel anglo-saxon et difficilement transposable dans les pays de tradition latine. Les avatars de la tentative de politisation espagnole a fait long feu après les attentats de Madrid du 11 mars 2004. Au point que José Maria Aznar est le seul responsable politique impliqué dans l’affaire irakienne et confronté à une élection, à ne pas avoir été réélu… En France, la concurrence entre service n’existant le plus souvent aux yeux des médias, leurs compétences étant surtout correctement fixées dans une communauté plus restreinte, le risque de politisation est autre. Au moment où les écoutes de l’Elysée refont la Une des journaux, il apparaît clairement que si des dérapages sont toujours possibles, la relation des politiques avec les services de renseignement préserve encore d’errances à l’américaine. Les verrous du général René Imbot préservent encore la démocratie, dans le sens où Percy Kemp, consultant en relations internationales et digne successeur de John Le Carré, l’entendait dans sa tribune du 6 mars 2003 dans Le Nouvel Observateur, « Pourquoi il faut sauver nos espions »…

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