28.12.04

Le carnet du confiseur

Alors que les éléments se déchaînent avec une vigueur séculaire, pour parler comme les médias, jusque-là inconnue – et pour cause, ce siècle n’a que quatre ans et Rome ne remplace toujours pas Sparte…–, quelques réflexions géopolitiques sont à noter.
En premier lieu, la libération des deux journalistes français, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, a donné lieu à de nombreuses réflexions. Du côté des otages et anciens otages, les mentions de France et de Dieu sont devenues choses communes. Comme si, dans l’adversité et l’isolement, le seul réflexe était de se rattacher à l’irrationel national et chrétien pour retrouver l’espoir. A la vieille de Noël, il était bon d’entendre célébrer ces croyances, même si elles étaient incompréhensibles à une société largement déchristianisée… Restons avec les journalistes libérés d’une prise d’otages largement incompréhensible. Les confessions de Malbrunot à son journal, Le Figaro, n’apportent que malaise. Non qu’elles recèlent quelque maltraitances inavouables. Mais elles inspirent ce sentiment de fabrication : et si les deux Français, profitant de la garantie de leur nationalité, n’avaient que profité de l’aubaine d’un reportage inédit ? Il y avait un an et demi qu’ils étaient en Irak. Ils étaient ceux qui indiquaient les embuches à éviter par leurs collègues sur cette route maudite. Et ils se font avoir comme des débutants…
Dans son éditorial au numéro des fêtes de Courrier international, Roger Cohen réfléchit à « la fragilité du monde ». Il s’interroge sur le temps long qui, en un siècle, a vu s’écrouler des Empires et des idéologies. Le monde qui a disparu avec la vague soviétique n’était en fait miné que par cette lame de fond qui avait émergé une première fois en 1914, le nationalisme. La première guerre du Golfe aurait emporté les derniers élans du nationalisme arabe, cette construction précoloniale, construite de toute pièce en réaction à la domination ottomane, et qui avait servi de fondements aux nationalismes de l’ère coloniale. Les guerres de Yougoslavie ont généré des violences nationalistes d’une ampleur micro-étatique, témoignant à la fois d’un repli communautaire et de revendications identitaires aux élans génocidaires. Leurs résultats n’étaient pas vraiment éloignés des massacres africains, du Rwanda ou d’ailleurs, où seule la logique communautaire, donc tribale, prévaut. La seconde guerre du Golfe laisse éclater cette concurrence de nationalismes, bien éloignés de leur modèle national et étatique du XIXe siècle européen. Roger Cohen en montre trois : « le nationalisme asiatique, le postnationalisme européen, l’expansionnisme américain [qui] s’efforcent chacun de gagner en influence. » On retrouve là les trois éléments d’une géopolitique américaine anti-impérialiste. Les Etats-Unis se trouvent face à deux logiques icompréhensibles, dont l’enjeu est la maîtrise d’un monde sans repère. La montée de la Chine dans le jeu économique, logique de l’Organisation mondiale du commerce, ne peut se comprendre sans ses ambitions politiques, logique étatique du Conseil de sécurité des Nations unies. La construction de l’Union européenne, logique des aspirations contenues dans les traités de Rome, ne peut être envisagée sans un découplage avec la logique issue de la Guerre froide, à savoir le parapluie politique américain. Dans ce nouveau western mondial, les shériffs américains ne sont pas en mesure d’accepter une fédéralisation du monde, logique de la gouvernance démocratique sur le modèle Internet, qui remette en cuase leur position mondiale, logique du capitalisme weberien.
La grand-mère de Roger Cohen soupirait : « Qu’est-ce qu’il faut supporter quand on n’a pas de fusil ! » Le problème est qu’ils en ont… Et les tendances qui se font jour n’écartent pas un nouvel Alamo. Le chef d’al-Qaîda, Ussama bin Laden, en sera-t-il le nouveau général Santa Anna ? Il vient de reconnaître Abu Musab Zarqawi comme l’émir du réseau terroriste en Irak. Il y appelle aussi les Irakiens à boycotter les élections prévues le 30 janvier. Naturellement, le message audio qui lui est attribué, diffusé hier par al Jazira, n’a pas été authentifié. Mais un membre de la Commission électorale irakienne a déclaré hier que les élections se tiendraient dans les temps. «Il s'agit a priori de la réponse de Ben Laden au serment d'allégeance que lui a professé Zarqawi [en octobre dernier], ce qui ne représenterait pas une surprise», a commenté un responsable du renseignement militaire américain, sous couvert d’anonymat.

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