16.12.04

Mystifications historiques

Dans ce monde qui erre sans référence aucune, perdant paradoxalement la mémoire de son passé à mesure que les commémorations et les reconstitutions médiatiques le sanctifient sur l’autel du spectacle vivant, sans respect pour les faits, les romans deviennent histoires vraies. Il est vrai que d’Artagnan est vivant dans les imaginations de tout historien moderniste grâce à Alexandre Dumas ; mais il ne lui a pas fallu beaucoup de compétences pour comprendre que tout cela n’était que pure littérature. Mais voilà qu’aujourd’hui un phénomène mondial emporte les raisons et pose un problème historique. Le monde à l’envers…
Ils sont nombreux à avoir dévorés, ce printemps, le Da Vinci Code de Dan Brown. Quinze millions l’ont acheté dans le monde, dont un million en France, et croient dur comme fer que « le Prieuré de Sion, une société secrète européenne fondée en 1099, est une organisation réelle.» Le roman ésotérique emmenait ensuite ses lecteurs médusés vers les amours de Jésus et de Marie-Madeleine, dont le Prieuré serait chargé de protéger la descendance. Et voilà qu’aux Etats-Unis les chrétiens les plus conservateurs courroucés se lançant dans de spectaculaires campagnes médiatiques, dignes des shows présidentiels, pour percer le secret du Da Vinci Code et le révéler au public. Qu’il s’agisse d’une affaire d’argent et d’exploiter un filon, pourquoi pas ? Mais personne jusqu’à présent n’a songé à dévoiler les secrets de Harry Potter, l’autre phénomène éditorial de l’année. Il est vrai que J. K Rowling n'a jamais prétendu qu'il existait vraiment, quelque part en Angleterre, une école de sorciers qu'on pouvait atteindre en prenant un train fantôme sur le quai 9 1/2 de la gare londonienne de King's Cross. Plutôt songer à l’imiter, si l’on ne craint pas d’être accusé de plagiat ou de pastiche.
Pourquoi cet engouement, cette quête autour du livre de Dan Brown. Parce que l’on met en cause les amours supposées de Jésus, Dieu fait homme ? Il est vrai que les Evangiles ne les mentionnent pas, mais il est tant d’autres activités humaines que ces textes sacrés cachent à la connaissance des fidèles… En fait, le Christ est pour bien peu de chose dans cette opération mystificatrice. Le monde occidental d’aujourd’hui, pas uniquement les Etats-Unis, est devenu crédule par manque d’éducation. La mondialisation de l’information, c’est-à-dire l’accélération des flux de données, offre toute latitude à sa manipulation. Les croyances, dans une philosophie aussi bien que dans l’existence d’armes de destructions massives en Irak, diffèrent des religions révélées dans la fermeture qu’elles offrent. Alors que la foi en Dieu, quel qu’Il soit, appelle à la tolérance, la simple croyance conduit tout droit au fanatisme. Elle fait le lit de toutes les guerres de religion.
Revenons au Da Vinci Code, mais on pourrait tout aussi bien parler de L'agent secret du Vatican. Histoire d'un complot : les révélations de Giovanni Saluzzo, de Victor Guitard, et des « mémoires » de ce drôle d’agent secret, Barbouze au Vatican, d’Yvan Saluzzo… Ces trois ouvrages ont en commun de reposer sur la crédulité des lecteurs. Normal pour le premier, il s’agit d’un roman ; Pour les seconds, il est plus étrange que des essais soient de l’ordre du roman ! Mais, dans un monde de plus en plus déconnecté de la chose religieuse, les hommes sont prêts à croire. Pas en Dieu, ni en une Eglise. Simplement à croire. En manque de repère, on part facilement en croisade. Les fanatiques se comptent dans toutes les sociétés, dans tous les milieux sociaux. Et les médias attisent, inconsciemment la plupart du temps, mais la Radio des mille collines, au Rwanda, montre bien que la haine est également du ressort médiatique, les fanatismes. On se souvient des crimes commis au nom de films d’Oliver Stone ou d’horreur. A chaque fois, des spectateurs malléables par manque de structures culturelles étaient partis commettre un forfait. Et ne parlons pas du rapport de Warnock Hinkley Jr. à Taxi Driver.
Jouer avec les faits historiques, par nature incontrôlables au lecteur/auditeur/spectateur lambda, revient au même. Le rapport avec la connaissance est ici direct. Il ne consiste plus à faire simplement la différence entre le possible et l’impossible, le réel et l’irréel. Il importe de distinguer le vrai du faux. Que Saluzzo soit agent secret du Vatican, grand bien lui fasse. Mais pourquoi en faire un agent de la Sapinière, une association secrète organisée par un prélat du Vatican, chargée de la chasse aux modernistes ? Parce qu’à partir d’un fait plausible, vérifiable par googling, il est aisé de rendre crédible les autres assertions. Même chose pour le Prieuré de Sion, pourtant droit sorti de l’imagination de Pierre Plantard de Saint-Clair, dans les années 1960. Pour bien faire, il est allé déposer lui-même, à la Bibliothèque nationale, des documents attestant l’origine lointaine de sa société secrète, ainsi qu'un arbre généalogique faisant descendre sa famille des rois mérovingiens. Dans un document de la BBC, diffusé dimanche dans « Sept à sept », sur TF1, il affirmait « A l'heure actuelle, Sion existe toujours. L'un de ses derniers grands maîtres était Jean Cocteau. Tout le monde le sait ». Dan Brown n’a fait qu’ajouter l’élément sulfureux pour bâtir son roman. Et dire que certain l’ont pris pour de l’histoire…

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