17.12.04

Une nouvelle Renaissance ?

La décision qu’a rendue mercredi la Cour internationale de justice de La Haye, dans la procédure initiée en avril 1999 par la Serbie-Monténégro contre huit Etats membres de l’OTAN, est riche d’enseignement quant au processus de juridiciarisation des conflits auquel on assiste depuis la fin de la Guerre froide. Qu’il y ait un droit de la guerre, auquel obéissent des règles de l’engagement, n’a rien d’anormal. Que les crimes de génocides soient passibles de poursuite devant les tribunaux internationaux va de soi. Que le droit des vainqueurs ne s’impose plus seulement aux vaincus va dans le sens du droit des gens. Mais la Cour n’a pas tranché dans ce sens, en rejetant les arguments du demandeur. Elle s’est simplement déclarée incompétente, la Serbie-Monténégro n’existant pas au moment des faits contestés.
Le demandeur agissait en tant qu’héritier de la Yougoslavie de Slobodan Milosevic, qui avait dénoncé l’illégalité de l’opération de l’Alliance atlantique au Kosovo et qualifié de génocide les « attaques contre des cibles civiles ». Son premier argument reposait sur le fait que l’opération avait été conduite du 24 mars au 9 juin 1999, peu après l’échec des négociations de Rambouillet, sans l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies, les Occidentaux craignant un veto de la Chine et de la Russie. Dès lors, la conformité de l’opération avec le droit international avait nourri de nombreuses controverses opposant les protagonistes du devoir d’ingérence aux tenants de la souveraineté nationale. De leur côté, les membres de l’OTAN avaient motivé leur intervention par l’urgence humanitaire de la situation des Albanais du Kosovo, alors sous la botte de l’armée et de la police serbe. La durée de l’opération, qui aurait dû être menée en quelques jours, et les erreurs de frappe, qualifiées de « dommages collatéraux » par l’OTAN, avaient nourri la polémique et offert un argument supplémentaire au maître de Belgrade.
Mercredi, la Cour internationale de justice, créée par les Nations unies pour régler les différends entre Etats, s’est donc déclarée incompétente. Si la décision satisfait les Etats visés et évite à l’organisation atlantique un débat de fond, paradoxalement, la Serbie-Monténégro ne sort pas perdante de l’affaire. Le retrait de la plainte était l’une des conditions à son entrée dans le partenariat pour la paix de l’OTAN. Une obligation désormais remplie de facto et qui lui permet d’éviter un débat national houleux sur cette question. Mais ce sont surtout les conséquences de cette décision sur une autre affaire, autrement plus sensible pour la Serbie-Monténégro, qui pourraient peser. En mars 1983, la Bosnie-Herzégovine avait porté plainte contre la Yougoslavie pour génocide et demandait réparation. L’affaire sur le fond ne sera entendue qu’en février 2006. Mais la décision « soulève un doute », estime Ronny Abraham, directeur des affaires juridiques au Quai d’Orsay et représentant de la France dans la procédure. Un doute qui pourrait bénéficier à la Serbie-Monténégro.
Concomitamment au Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie qui jugent les crimes commis entre 1990 et 1999 par les tenants des trois communautés, serbes, bosniaques et croates, l’affaire yougoslave permet par ces différents aspects l’établissement d’un nouveau droit des gens. Au début de la Renaissance, l’avocat protestant hollandais, érudit et homme d’Etat, Huig de Groot (1583-1645) dit Grotius, avait déployé tout au long d’une existence quasi romanesque une activité intellectuelle incessante qui le porta notamment vers la philosophie de l’Etat et la science juridique. Théoricien de la « doctrine de la guerre juste », du iuris gentium et du droit naturel, Grotius est couramment présenté comme un des pères fondateurs du droit international, dont on a coutume de faire remonter la genèse à son oeuvre majeure Le droit de la guerre et de la paix (1625) . Dans ce traité du droit de la guerre, dont certains principes apparaissaient déjà dans De la liberté des mers (1609) , sont définis les critères d’une guerre « juste » ; on a souvent voulu y voir une « humanisation » du ius belli ce qui vaudra au jurisconsulte de Delft une vague de faveur au lendemain de la première guerre mondiale. Partisan de la paix, Grotius ne prétend pas cependant supprimer la guerre mais la réglementer : si les causes de la guerre sont légitimes, alors celle-ci n’est pas contraire au droit naturel. Chez Grotius, les normes du droit naturel ne prennent pas directement leur source dans la volonté de Dieu, mais émanent de la nature humaine et de son caractère sociable. Ainsi, parce qu’il se dégage des conceptions théologiques antérieures, Grotius est considéré à partir du XIXe siècle comme celui qui a laïcisé le droit naturel.

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