8.1.05

Elections palestiniennes  : une occasion rare, par Yossi Beilin

LE MONDE | 08.01.05 | 14h56

Les résultats des élections pour le poste de dirigeant de l'Autorité palestinienne ne surprendront personne. Mahmoud Abbas (Abou Mazen) va être élu avec une avance confortable sur le docteur Moustapha Barghouti. Les autres candidats vont obtenir des scores négligeables. Il s'agit pourtant là des premières élections démocratiques du monde arabe : pour la toute première fois, le leader n'est pas choisi au sein d'une dynastie, ni par un référendum avec un candidat unique, mais au terme d'une campagne pleine de suspense, dans laquelle les différents candidats ont défendu leur programme jusqu'au bout.
Abou Mazen est le successeur naturel de Yasser Arafat. Durant de nombreuses années, il a été le numéro deux de l'OLP. C'est lui qui a mené les négociations d'Oslo pour le camp palestinien et a signé les accords sur la pelouse de la Maison Blanche le 13 septembre 1993. Difficile, malgré cela, de trouver plus différent d'Arafat : Abou Mazen n'est un leader ni charismatique ni fougueux, il ne cherche pas à imiter les tenues militaires et les longs discours de Fidel Castro, et il est le premier dirigeant palestinien à s'être élevé contre l'Intifada armée, dès 2000. C'est un homme calme qui déteste les interviews, qui ne court pas après le pouvoir, qui est capable d'écouter les autres et même de se laisser convaincre.
En dépit de son manque de charisme, Abou Mazen assurera la direction de l'Autorité palestinienne, fort de la légitimité acquise en tant que "père fondateur", parmi d'autres, de l'OLP au Qatar. En outre, il est bien considéré par les Etats-Unis, et les Européens sont disposés à lui prêter assistance, les Israéliens à engager un dialogue avec lui, et il bénéficie d'une image favorable en Egypte et dans le monde arabe. Le peuple palestinien n'avait jusqu'ici jamais eu un tel leader : ni du temps du mufti Hadj Amin El Husseini, ni à l'époque d'Ahmed Choukeiri, ni avec Arafat. L'élection d'Abou Mazen va offrir une occasion rare de faire avancer le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens.
Cette occasion se concrétisera-t-elle ? Difficile à dire. Abou Mazen va se retrouver à la tête d'un système sérieusement affaibli, dont l'infrastructure a été presque entièrement détruite au fil des quatre dernières années. On attendra de lui qu'il réhabilite et unisse immédiatement les forces de sécurité palestiniennes et trouve un moyen de mettre un terme aux actions violentes du Hamas et du Djihad islamique. Si la violence ne cesse pas, il lui sera très difficile de diriger son peuple. Le cessez-le-feu peut être obtenu soit en combattant les éléments extrémistes islamistes, soit en parvenant à des accords avec eux. Cette dernière possibilité pourrait coûter très cher, car des accords impliqueront un partage du pouvoir. La première risque de s'avérer très compliquée : les forces palestiniennes de maintien de l'ordre ne sont pas autorisées par Israël à faire usage de leurs armes, les territoires sont plongés dans une grave anarchie et personne ne sait si les différentes forces en présence obéiront au nouveau leader.
Dans les mois qui viennent, Abou Mazen va se trouver sur la corde raide, tiraillé entre la recherche d'accords à moindres frais pour lui et des affrontements violents. C'est la raison pour laquelle les puissances extérieures ont un rôle potentiel si important. Plus les Palestiniens estimeront que les périodes de paix sont précieuses et permettent le développement de leur économie, plus ils se rendront compte que le retrait unilatéral de Gaza n'est que le début d'un processus de négociation entre Israël et les Palestiniens, qui culminera avec un accord sur un statut permanent allant dans le sens du plan Clinton, de la position de George Bush et de l'accord de Genève. Cela augmentera les chances d'assister à une assimilation des forces extrémistes, qui ne représenteraient alors plus un obstacle à l'action d'Abou Mazen. Les gouvernements de Bush et de Sharon, exerçant chacun leur second mandat, vont devoir faire de gros efforts pour aider les éléments pragmatiques de l'Autorité palestinienne. S'ils se cantonnent dans un rôle de simple observateur, la révolution historique qui a eu lieu du côté palestinien n'engendrera rien de plus qu'une salve d'applaudissements récompensant un bel exemple de processus démocratique mené par un leader prudent et responsable. Puis, malheureusement, ce processus sera anéanti par les extrémistes et les fanatiques vindicatifs et violents.

Yossi Beilin est président du parti Yahd (gauche sioniste) et ancien ministre israélien de la justice.

Traduit de l'anglais par Manuel Benguigui © Global ViewPoint
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 09.01.05

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