28.1.05

La bataille d’Angleterre

La Bourse de Francfort et le consortium européen Euronext mené par Paris, Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne cherchent à prendre possession de la City. L’enjeu pour les deux places financières continentales est de s’affirmer sur l’autre. Naturellement, le sujet ne semble pas préoccuper outre mesure l'opinion britannique. Outre-Manche, plus personne ne doute, à moins d'un revirement de dernière minute, que la société chargée de gérer la place financière londonienne perdra son indépendance. La seule part de suspens à subsister tient à l'identité finale de l'acquéreur. Mais au final, c’est la City, ses banques et ses chapeaux-melons qui l’emporteront quand même.
Les entreprises cotées à Londres s'interrogent pour savoir si une fusion avec Francfort serait, en matière de tarifs, plus coûteuse pour elles qu'un rapprochement avec Euronext. Cette attitude décontractée des Britanniques vis-à-vis de leur place boursière a de quoi surprendre dans une Europe — et particulièrement en France — où gouvernements, milieux industriels et monde des affaires, confrontés aux menaces des délocalisations et de fuite des technologies, réactivent les thèmes de nationalisme économique, de défense de leur marché et de création de champions nationaux. A y regarder de plus près, notamment en termes de rapport entre une place financière et l'économie du pays, ces enjeux sont au cœur du débat en Grande-Bretagne. Seulement, l’approche est foncièrement différente qu’à Paris ou à Francfort. La capacité de l’Etat à conserver sur son territoire son industrie, sa finance, sa recherche et les centres de décision, dont dépendent directement l'emploi, la matière grise et la formation de ses élites, c’est aussi et surtout parvenir à attirer les investisseurs et leurs capitaux. Les exemples luxembourgeois et suisse sont à ce point édifiant. Et quel que soit le propriétaire de la City, en dernier ressort, c’est Londres qui gagne.
Francfort comme Euronext, dans la manière dont ils avancent leurs pions ou se préparent à déposer une offre, ont déjà reconnu de facto que Londres est et restera, fort de son histoire, de sa culture et de son ouverture sur les pratiques américaines, la place européenne de marché par excellence. Un signe, à lui seul, ne trompe pas. L'un comme l'autre prétendant se dit prêt à déménager une bonne partie de ses dirigeants, de ses équipes et de ses ressources dans la capitale britannique. Au même titre qu'une grande partie de l'industrie bancaire européenne s'est déjà installée dans la même ville. Francfort conserva la Banque centrale européenne… quant à Paris, il ne reste plus que la direction de ladite Banque centrale européenne.
Le monde de la finance a cela de troublant. Il est des offres publiques d’achat, hostile ou amicale, qui, à y regarder de plus près, disent l’inverse de ce que le distrait entend. La force d'attraction de Londres amène à inverser le sens de l’évidence : Francfort et Paris ne sont pas les prétendants, au contraire, ils sont la proie. La City a toutes les chances de sortir grande gagnante de cette bataille en parvenant à se faire racheter, au prix fort, tout en conservant sur place la totalité de ses équipes et de son pouvoir d'influence.
Le réseau ainsi créé ne renforcera ni Francfort, ni Paris. Il les intégrera un peu plus encore au marché mondial, entre New York et Tokyo. La Triade en sortira encore renforcée et, avec elle, ce phénomène dont les congressistes de Porto Alegre débattent avec tant de fiels et que l’on nomme mondialisation… Cette fois, c’est bien l’Europe qui gagne.

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