30.1.05

Sharif Ali Bin Hussein, Un prince en campagne

TRAIT POUR TRAIT Sharif Ali Bin Hussein, héritier du trône d'Irak, est candidat aux élections du 30 janvier

Bagdad : Delphine Minoui
[Le Figaro, 30 décembre 2004]

Assis dans un fauteuil aux imprimés fleuris, c'est un homme confiant qui reçoit ses invités dans une villa du quartier résidentiel de Jaderiya. Sharif Ali Bin Hussein, 48 ans, héritier du trône d'Irak, et candidat aux élections parlementaires du 30 janvier, n'est pas du genre à douter de lui. «Si le scrutin se passe sans fraude, notre succès est assuré car le programme de notre parti, celui de la monarchie constitutionnelle, se présente comme une solution aux problèmes de la population irakienne», affirme-t-il.
Sa liste, qui rassemble 40 candidats, risque bien d'avoir du mal à faire le poids avec celle des chiites, qui militent depuis des mois à travers les mosquées, ou encore celle des «grosses pointures», comme le président Ghazi al-Yaouar, ou le premier ministre Iyad Allaoui, dont les moyens de campagne sont largement dodus. La plupart des Irakiens, sondés à travers les rues de la capitale, le disent pourtant «invisible» et «méconnu». «On ne sait pas grand-chose sur Sharif Ali Bin Hussein», confie Wafa Hamid, 45 ans, ingénieur au ministère du Commerce. «On ne sait même pas à quoi il ressemble», lâche Ziad Tarik, un ouvrier de 24 ans.
Il faut dire que ce dandy aux mocassins parfaitement cirés, rentré en Irak il y a un an et demi, vit dans un monde à part, qui rappelle plus celui des contes de fées que la réalité chaotique de l'après-Saddam. Chez lui, l'accueil est atypique. Après avoir récupéré un badge auprès d'une fausse blonde, qui fait office de secrétaire, le visiteur est invité à traverser un superbe jardin décoré d'une statuette blanche aux allures de naïade. Devant la villa, un mouton gris se pavane. Dans la salle de réception, gardée par des colosses en costume cravate, le café à la cardamome est servi dans de toutes petites tasses en porcelaine.
Ponctuel, beau parleur, Sharif Ali Bin Hussein s'assied toujours à la même place : sous la photo de son cousin, le roi Fayçal II, dernier roi d'Irak, dont l'assassinat, en 1958, mis fin à trente-six ans de monarchie. A l'époque, le petit prince n'avait que 2 ans. Ce fut le début d'un long exil, d'abord au Liban, puis en Grande-Bretagne, où il devint banquier, après des études d'économie. Sur le mur adjacent, il y a la photo des deux précédents rois, Fayçal Ier (1922-1933) et Ghazi (1933-1939), descendants de Sharif Hussein de La Mecque, qui fut à l'origine de la révolte contre les dirigeants de l'Empire ottoman. Nostalgie d'un passé révolu...
Mais les idées que défend le prétendant au trône d'Irak sont pourtant bien celles de son temps. Ancien supporter de l'invasion américaine pour renverser Saddam, il condamne aujourd'hui fermement la politique des Etats-Unis en Irak. Il s'est d'ailleurs bien gardé de se glisser dans les valises de la coalition à son retour au pays, en juin 2003. «Bien avant la guerre, j'ai suggéré aux Américains d'organiser des élections au plus vite dès que le régime tomberait. Ils se sont malheureusement fiés à leurs propres copains en exil et ont complètement échoué dans la reconstruction du pays. Dès le départ, l'erreur a été de créer un Conseil de gouvernement transitoire sous la coupe de Paul Bremer, le proconsul américain», râle-t-il.
Aujourd'hui, Sharif Ali Bin Hussein n'hésite pas à se présenter comme un candidat de l'opposition à l'actuel gouvernement provisoire irakien, «trop proche des Américains, trop opportuniste». Il reconnaît, sans détour, son penchant pour les exclus «qui ont rejoint la résistance armée pour pouvoir faire entendre leurs voix». «Le seul moyen, poursuit-il, d'arrêter les opérations des membres de la guérilla, c'est d'engager des négociations et de les impliquer dans le processus politique. Et ce sera une de mes priorités si je suis élu !»
Dans ce contexte, insiste Sharif Ali Bin Hussein, «le retour de la monarchie peut se présenter comme le remède idéal aux maux de l'Irak». «Je suis convaincu que seule une monarchie constitutionnelle pourra assurer la diversité des partis politiques et éviter que l'un d'entre eux cherche à dominer les autres», confie-t-il. Ses détracteurs lui reprochent d'avoir un discours d'exilé. Les mauvaises langues disent même qu'il parle arabe avec un léger accent anglais. Les bruits courent également qu'il ne serait pas le descendant le plus proche de la dynastie hachémite. Mais, face aux critiques, l'homme se défend «d'avoir toujours vécu au contact des Irakiens». A l'étranger, dit-il, «j'ai fréquenté les différents groupes politiques : une liberté que je n'aurais pas pu avoir si j'étais resté au pays».
Maintenant que le compte à rebours est lancé, il mise sur une campagne à l'occidentale. Posters, tracts et meetings politiques, avec pour slogan «sécurité et stabilité, justice et prospérité». Ses sorties, qui restent néanmoins limitées, il les organise entouré de ses fidèles gardes du corps, mais sans voiture blindée. «Je n'ai pas peur d'être une cible de la résistance, dont je partage les idées, dit-il. C'est plutôt les soldats américains que je crains. Ils tirent aveuglément sur tout ce qui bouge.»


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