7.1.05

Le retour du Jedi

Pendant que le monde regarde avec angoisse les images en boucles du tsunami, comme il le faisait déjà en septembre 2001 après l’effondrement des tours jumelles de New York, le président vénézuélien Hugo Chavez contrôle tous les pouvoirs, alors que l’opposition, réunies au sein de la Coordination démocratique (CD), est déchirée par ses échecs répétés. Le Fonds monétaire international (FMI) est satisfait, le président de la République serein et l’opposition défaite. Deux victoires, lors du référendum du 15 août et des élections régionales et municipales du 31 octobre, ont donné au gouvernement de Hugo Chavez la stabilité. Dopé par l’envolée des prix du pétrole, le Venezuela a fini l’année 2004 avec une croissance record de 18 %, selon la Commission économique pour l’Amérique latine (Cepal). La Banque centrale l’estime plutôt de 15 % et prévoit une prévision de 7 à 8 % pour 2005. Cette série positive met fin à deux années négative (- 8,9 % en 2002 et - 9,2 % en 2003), l’économie ayant fortement accusé le coup de l’instabilité politique. L’inflation est contenue sous la barre des 20 % — elle reste toutefois la plus élevée du continent — et le chômage est passé de 20,7 à 14,5 %.
Du coup, c’est tout un pan de la politique américaine qui se trouve mise en échec. La tentative de coup d’Etat, en avril 2002, la longue grève du secteur pétrolier, en 2003, les attaques de la presse et un « référendum révocatoire » n’ont pas eu raison de Hugo Chavez, sorti renforcé de l’affrontement. Le président semble assuré d’être réélu en 2006 et de rester en place jusqu’en 2012. On est loin des succès de la diplomatie publique américaine des années 1970-1980. Les lois adoptées sur les médias ou sur les terres — prévoyant la confiscation des propriétés inexploitées —, la réforme de la Cour suprême, qui permet à M. Chavez d’en prendre le contrôle, ou la réforme du code pénal font certes peur. Mais rares sont ceux qui, à l’antenne, continuent de crier à la dictature castro-communiste. Les Cercles bolivariens — organisations sociales de base créées sur injonction du chef de l’Etat, qui faisaient frémir les beaux quartiers — ont disparu des conversations.
Washington se trouve privé de soutien contre cet autre « ennemi intime », allié de Saddam Hussein dans une conspiration pétrolière qui est arrivé trop tard pour l’Irakien. Mais le Vénézuélien a su surfer sur cette vague. La hausse exceptionnelle du prix du pétrole de l’an dernier n’est pas du au hasard. Elle se rapproche largement de la crise de 1973. Seulement, les grands médias n’en ont pas parlé, car il ne s’agissait ni d’une promesse de redistribuer la manne aux pays en voie de développement, ni de manifester l’existence d’un troisième bloc. Mais, comme en 1973, elle avait pour objectif de mettre en difficulté l’Occident, et plus particulièrement les Américains. Une première tentative avait eu lieu en 1999, après cette fameuse tournée moyen-orientale de Hugo Chavez, et notamment son escale irakienne. L’épopée s’était arrêtée rapidement à Vienne, lorsque les ministres du pétrole du Golfe, Saoudiens en tête, repoussèrent l’idée. Le Vénézuélien était alors devenu la bête noire des Etats-Unis. Comme au bon vieux temps de la Guerre froide, il s’était trouvé des affinités cubaines et s’engagea sur la voie d’un marxisme de convenance.
Les succès de l’année 2004 pourrait bien le ramener dans le camp occidental. Ayant maintenant abandonné le discours révolutionnaire, Hugo Chavez n’envisage plus d’exporter sa « révolution » dans toute l’Amérique latine. Au contraire, il vient d’intégrer le Mercosur, avec le statut de pays associé — comme la Colombie et l’Equateur. Déjà Hugo Chavez, prône la dissolution du Mercosur au sein d'une entité plus vaste. La tentation d’une fuite en avant, d’une sortie des tensions commerciales par le haut, est indéniable. Et pourtant, l’abandon du patient travail de négociation du Mercosur au profit d’une communauté sud-américaine des nations encore en pointillé pourrait s’avérer un mirage. A terme, seule l’alliance des intérêts économiques et des valeurs démocratiques peut éviter la gesticulation ou la rhétorique typiquement latino-américaines. Et, à ce petit jeu, peu d’acteurs peuvent s’imposer. Le Venezuela en fera évidemment partie.
Auparavant, il lui faudra régler les disfonctionnements engendrés par le changement de système économique, les manipulations américaines et l’instabilité politique qui s’en est suivie. L’avenir montre combien la tâche du président reste difficile, même si la manne financière dont il dispose le met dans de bonnes conditions pour réussir. Au préalable, il devra résoudre les contradictions au sein de son équipe économique, institutionnaliser les politiques publiques et produire des résultats tangibles en matière de lutte contre la corruption et de création d’emplois. Il y a quelques jours, à Caracas, de violents affrontements ont opposé la police aux vendeurs ambulants qu’elle essayait de déloger. Le maire « chaviste » de la capitale a publiquement réprimandé les policiers et destitué leur commandant pour « excès commis contre le peuple ». L’incident pourrait bien être révélateur de confrontations futures.

Aucun commentaire: