16.2.05

Après un mois de rupture, Venezuela et Colombie décident de se réconcilier

LE MONDE | 16.02.05 | 14h19

Le président vénézuélien Hugo Chavez et son homologue colombien Alvaro Uribe se sont rencontrés, mardi 15  février, pour "tourner la page" après plusieurs médiations du Brésil.
"Nous avons décidé de tourner la page", a déclaré le président vénézuélien Hugo Chavez, tout sourire après six heures de réunion avec son homologue colombien Alvaro Uribe. Leurs retrouvailles minutieusement mises en scène à Caracas, mardi 15 février, scellent la réconciliation entre le Venezuela et la Colombie, après un mois et demi de crise diplomatique. Dans un geste sans précédent, M. Chavez avait suspendu, le 14 janvier, tous les échanges entre les deux pays, alors qu'ils constituent l'un pour l'autre le deuxième partenaire commercial.
L'affaire avait commencé avec la capture d'un dirigeant des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), Rodrigo Granda, le 13 décembre 2004. Les autorités colombiennes prétendent qu'il a été détenu à Cucuta, près de la frontière vénézuélienne. Le Venezuela accuse aussitôt Bogota d'avoir "violé la souveraineté vénézuélienne", car le guérillero aurait été enlevé à Caracas.
Rodrigo Granda disposait d'un passeport vénézuélien et de facilités pour remplir sa mission de "ministre des affaires étrangères" des FARC, répliquent les Colombiens, qui remettent une liste de sept autres représentants de la guérilla présents au Venezuela. Lorsque Bogota admet avoir récompensé les informateurs ayant mené à la capture de Rodrigo Granda, Caracas y voit l'aveu d'une "subornation" de policiers ou militaires vénézuéliens.
"Il est injustifiable que de hauts fonctionnaires de l'Etat colombien et du gouvernement colombien poussent au délit des fonctionnaires vénézuéliens, qu'ils achètent des militaires vénézuéliens pour qu'ils trahissent leur patrie", s'exclame Hugo Chavez en annonçant "l'arrêt de tout accord ou affaire" avec la Colombie. Alvaro Uribe invite publiquement son collègue à une réunion au sommet pour crever l'abcès et aborder les questions de sécurité ou de lutte contre le terrorisme. M. Chavez refuse, tant qu'il n'aura pas reçu des excuses en bonne et due forme. En passant, il attribue la crise à un complot des Etats-Unis et raille la nouvelle secrétaire d'Etat, qu'il appelle "Condoléances" Rice.

ARGUMENTS ÉCONOMIQUES

La controverse vire à la crise régionale et les propositions de médiation se succèdent : Brésil, Pérou, Chili, Espagne, Mexique. Le calendrier favorise la diplomatie brésilienne, puisque le 19 janvier le président Luiz Inacio Lula da Silva rencontre Alvaro Uribe à Leticia, petite ville amazonienne à la lisière entre les deux pays. L'agenda bilatéral fait évidemment une place à la dispute entre la Colombie et le Venezuela. Brasilia tente de former un bloc sud-américain capable de négocier en position de force avec Washington l'Accord de libre commerce des Amériques (ALCA). Une polémique entre deux pays autour d'un sujet aussi explosif que la lutte contre le terrorisme fait désordre.
Le président Lula envoie donc à Caracas son conseiller diplomatique, Marco Aurelio Garcia, l'homme des missions délicates, dès le 22 janvier. Outre une excellente relation avec Hugo Chavez, l'émissaire brésilien dispose d'un autre atout, la préparation d'une visite présidentielle d'ores et déjà programmée à Caracas en février, placée sous le signe des affaires. La solution de la crise a été rondement menée en quelques jours, entre la rencontre Lula-Uribe à Leticia et le voyage de Marco Aurelio Garcia à Caracas. Lorsque celui-ci arrive à sa ville natale de Porto Alegre pour assister au Forum social mondial, le 27 janvier, ce n'est plus le Venezuela et la Colombie qui le préoccupent, mais la Bolivie, en proie à une poussée d'agitation sociale et régionaliste.
Le 29 janvier, Bogota se déclare "disposée à réviser les faits"et, "au cas où ils auraient été inconvenants" à l'égard du Venezuela, s'engage à "éviter leur répétition". Caracas s'empresse de prendre un communiqué rédigé dans la langue de bois diplomatique pour des excuses en bonne et due forme et considère l'incident surmonté. La presse colombienne parle d'une intervention apaisante de Fidel Castro auprès de Hugo Chavez, manière d'insister ainsi sur le rôle de mentor du premier sur le second. Quoi qu'il en soit, les présidents vénézuélien et colombien devaient se rencontrer à Carthagène le 3 février, mais une affection virale de M. Uribe retarde leurs retrouvailles jusqu'au mardi 15 février.
La pression des milieux d'affaires de Caracas et de Bogota a été décisive pour trouver un règlement rapide. L'efficacité diplomatique de Brasilia s'accompagne aussi d'arguments économiques solides. La visite du président Lula au Venezuela, le lundi 14 février, s'est soldé par la signature de vingt accords, portant notamment sur le pétrole et l'armement. Hugo Chavez et son collègue brésilien ont appelé les entrepreneurs à profiter des opportunités qui s'ouvrent à leurs pays. La concurrence entre les deux dirigeants pour le leadership de la gauche altermondialiste à Porto Alegre n'empêche pas l'entente au nom des intérêts bien compris.

Paulo A. Paranagua
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 17.02.05

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