16.2.05

Depuis longtemps, Damas considère le pays du Cèdre comme un "ventre mou" face à Israël

LE MONDE | 16.02.05 | 14h19

A la différence de la France, ancienne puissance mandataire, les Etats-Unis n'ont pas beaucoup élevé la voix pour l'indépendance libanaise.
1975 : lorsque, le 13 avril, un autobus transportant des civils palestiniens est mitraillé dans une rue d'Aïn el-Remaneh, à la périphérie est de Beyrouth, nul ne se doute encore qu'il s'agit là de la première étincelle d'une guerre intestine qui, pendant quinze ans, va embraser le Liban. La nouvelle se répand dans un Beyrouth grand comme un mouchoir de poche. Elle attise une tension, latente depuis au moins deux ans, entre, d'une part, l'armée libanaise et les partis chrétiens, et, d'autre part, les Palestiniens, les personnalités et les partis libanais qui vont rapidement constituer l'alliance dite islamo-progressiste, et dont la figure de proue est feu le leader druze Kamal Joumblatt, chef du Parti socialiste progressiste.
Les premiers accusent les Palestiniens d'avoir créé un Etat dans l'Etat et de faire régner la loi de la jungle depuis leur repli de Jordanie, en 1970. Les seconds leur rendent la politesse en les traitant de "traîtres aux causes arabes", la palestinienne en particulier. Commencés à la périphérie de Beyrouth, les accrochages aux armes de tous calibres et les exactions réciproques s'étendent à la quasi-totalité du pays. L'armée libanaise se désagrège. Une partie des militaires constitue l'Armée de libération arabe et soutient les palestino- progressistes. Une autre se regroupe au Liban sud pour former l'Armée du Liban libre, une milice pro-chrétienne. Les forces palestino-progressistes ayant pris l'avantage sur leurs adversaires, l'occasion s'offre à la Syrie d'intervenir au pays du Cèdre, qu'elle a toujours considéré comme son ventre mou face à Israël. Avec l'aval tacite de l'Union soviétique, dont elle est l'alliée, et des Etats-Unis, et à la demande du président de la République libanaise, Elias Sarkis, l'armée syrienne intervient, en juin 1976, pour se porter au secours des chrétiens. Israël approuve tacitement dès lors qu'il s'agit de brider les Palestiniens, et pour peu que l'armée syrienne ne franchisse pas une ligne rouge, qui suit le fleuve Litani, dans le Sud.
Les milices chrétiennes reprennent du poil de la bête. A la demande de Yasser Arafat, la Ligue arabe décide de remplacer les forces syriennes par une Force arabe d'une trentaine de milliers d'hommes, dont 25 000 Syriens. Ces derniers vont bientôt tenir seuls le terrain, après le retrait progressif des autres contingents arabes. Près de trente ans plus tard, l'armée syrienne est toujours là. Ses effectifs actuels sont estimés à plus de 14 000 hommes. Les services de renseignement syriens sont partout.
C'est que depuis, la Syrie a accentué sa mainmise sur le Liban, à la faveur de développements internes et régionaux. A aucun moment, jusqu'à la guerre d'Irak en 2003, les Etats-Unis ne se sont inquiétés de cette tutelle ni ne se sont faits, hormis du bout des lèvres, les champions de l'indépendance du Liban ; à la différence de la France, ancienne puissance mandataire du pays du Cèdre, qui a néanmoins été longtemps convaincue qu'il fallait y parvenir en douceur.
1977-1987 : ce sont les années charnières. Kamal Joumblatt est assassiné. Walid, son fils, qui lui a succédé à la tête de sa communauté et de son parti, accuse aujourd'hui publiquement les Syriens de l'avoir fait tuer - ce dont tous les Libanais sont convaincus de longue date. La visite à Jérusalem d'Anouar Al-Sadate, le président égyptien, est annonciatrice d'une paix séparée avec Israël. Au Liban, les milices chrétiennes revigorées tentent de s'émanciper de la tutelle syrienne. Israël a fait de l'Armée du Liban libre son auxiliaire dans le Sud.
Devenu inévitable, l'affrontement entre l'armée syrienne et les milices chrétiennes a lieu en février 1978. Ces dernières resserrent les liens déjà établis avec Israël. A la mi-mars, l'armée israélienne envahit le Liban sud jusqu'au fleuve Litani, puis se replie sur une "zone de sécurité" de quelque 800 km de long, qu'elle contrôle en collaboration avec ses auxiliaires de l'Armée du Liban libre. Le Conseil de sécurité de l'ONU adopte la résolution 425 exigeant le retrait immédiat d'Israël et confie à un contingent de casques bleus, la Finul, le soin d'y veiller. C'est seulement vingt-deux ans plus tard, en mai 2000, qu'Israël obtempérera aux ordres onusiens.
Dans l'intervalle, l'armée israélienne, en juin 1982, envahit le Liban jusqu'aux portes de Beyrouth-Ouest, dans l'intention de chasser les fedayins palestiniens. Le choc syro-israélien est inéluctable. Les pertes syriennes en hommes et en matériels sont lourdes. Les Palestiniens sont dispersés aux quatre coins du monde arabe.
Elu président de la République à l'ombre des chars israéliens, Béchir Gémayel, le chef des milices chrétiennes et ami de l'Etat juif, est tué dans un attentat. Avec le feu vert de l'armée israélienne, ses partisans entreprennent de "nettoyer" les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et de Chatila des derniers fedayins. C'est un mas-sacre.
Amine Gemayel, qui succède à son frère à la présidence de la République, commet aux yeux des Syriens le faux pas de trop : en mai 1983, il conclut avec Israël un accord de paix que le Parlement libanais ne ratifiera jamais. Revigorée, la Syrie, par organisations palestiniennes dissidentes et milices chiites interposées, donne le coup de grâce aux reliquats des fedayins palestiniens dans le Nord et à Beyrouth, et étend le champ de ses affidés libanais.
1988-1989 : le mandat présidentiel d'Amine Gemayel s'achève, mais le chaos général empêche l'élection de son successeur. Il transmet le pouvoir au commandant en chef de l'armée, le général Michel Aoun, cependant que, du côté islamo-progressiste, le premier ministre, Sélim Hoss, considère que l'intérim du pouvoir lui revient. En avril 1989, des accords de paix interlibanais sont signés dans la ville saoudienne de Taëf, qui prévoient, entre autres, des relations privilégiées entre Beyrouth et Damas, mais aussi un retrait syrien par étapes. Le rejet de ces accords par le général Aoun est à l'origine de combats sans merci entre ses hommes et l'armée syrienne. Ils se solderont par l'exil en France de ce dernier.
Le président syrien, Hafez Al-Assad, ayant su, lors de l'invasion du Koweït par l'Irak en 1991 soutenir la coalition multinationale anti-irakienne, le feu vert est tacitement donné à la Syrie pour contrôler son petit voisin.

Mouna Naïm
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 17.02.05

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