24.2.05

De l’avenir de l’OTAN en Europe

L’Alliance atlantique est en crise et la réunion de ses vingt-six membres du 22 février 2005 ne fait que le confirmer.
Le phénomène n’est pas récent, il date même de 1989. Si les cérémonies du cinquantenaire du traité de Washington ont quelque peu masqué ce fait, il est indéniable que la raison d’être de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord devenait sans objet avec la disparition de son ennemi, l’Union soviétique. Comme l’Alliance, malgré son origine politique, est une institution militaire, il a fallu lui chercher de nouvelles missions… que l’Union européenne, délivrée de la menace du nécessaire engagement bipolaire, s’empressait de mettre en œuvre dans sa politique de sécurité et de défense commune en gestation. En d’autres termes, la seconde dupliquait le premier, sans le dupliquer toutefois puisque ses composantes en termes de forces militaires venaient nécessairement et à quelques exceptions prêts (les neutres et les Turcs) des pays membres de la seconde. Abscons peut-être, mais il ne faut pas oublier que le siège de l’Alliance, le Supreme Headquarters Allied Powers Europe, se trouve en Belgique, à Mons…
La question de la duplication a été une entrave que les Etats-Unis ont toujours dressée face aux velléités européennes de se doter d’une identité de défense. Pourquoi faire naître quelque chose qui existe déjà ? Si les Européens voulaient absolument faire quelque chose de militaire, qu’ils s’inscrivent dans les champs laissés libres par l’Alliance. Le 19 juin 1992, les Ministres des affaires étrangères et de la défense des Etats membres de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) se sont ainsi réunis près de Bonn pour renforcer encore le rôle de ce qui aurait dû être le « marché commun de la défense », et ont publié la « Déclaration de Petersberg ». Sur la base des décisions de Maastricht, elle énonçait les lignes directrices du développement futur de l’organisation. Les Etats membres de l’UEO s’affirmaient prêts à mettre en commun des unités militaires formées, à partir de l’éventail complet de leurs forces armées conventionnelles, pour effectuer des missions militaires menées sous l’autorité de l’UEO. Ces missions, dites de Petersberg, comprenaient des missions d’aide humanitaire et d’évacuation, des missions de maintien de la paix, et des missions de forces de combat dans le domaine de la gestion des crises, y compris le rétablissement de la paix. Par la « Déclaration de Petersberg », les membres de l’UEO s’engageaient à soutenir les actions de prévention des conflits et de maintien de la paix menées en coopération avec la CSCE et le Conseil de sécurité des Nations unies.
Réactiver une coquille vide, qui avait perdu de sa substance peu après sa création, avec la signature du Pacte de Bruxelles, était une chose ; comme elle avait servi d’antichambre aux négociations d’entrée dans la Communauté économique européenne, démantela rapidement l’UEO au nom du troisième pilier de Maastricht, prenant ce qui marchait (le Centre d’études et de sécurité, les Missions de Petersberg et le Centre satellitaire de Torrejon) et abandonna le reste à l’OTAN. Pour faire bonne mesure diplomatique, c’est au sein de l’Alliance que les ministres de la Défense européens firent émerger, en juin 1996, l’Identité européenne de sécurité et de défense (IESD), en tant qu’élément essentiel de l’adaptation interne de l’Alliance. La duplication sans dupliquer se poursuivait…
Le Kosovo lui permit de la doter de la façade qu’elle pourrait plaquer sur l’IESD. Tout ce bel agencement fut oublié dans les gravats du World Trade Center, avec l’invocation de l’article 5 du traité de l’Atlantique nord, pierre angulaire de l’Alliance depuis sa fondation, qui prévoit que chacun des Alliés s’engage à considérer toute attaque, contre l’un ou plusieurs d’entre eux, survenant tant en Europe qu’en Amérique du Nord, comme une attaque dirigée contre tous. Au-delà de la signification politique, la mission que se donnait l’Alliance, à la suite de la « guerre américaine » qui commençait, devenait planétaire. La ligne jaune de l’IESD était franchie allègrement, puisque l’OTAN, créée pour intervenir sur le théâtre européen, partait en Afghanistan, alors que pendant la première guerre du Golfe, elle n’était pas allée plus loin que la Turquie. D’Europe, il ne restait, après l’élargissement à la République tchèque, à la Hongrie et de la Pologne, le 12 mars 1999, plus que six thèmes, définis en prévision du Sommet de Prague de la fin de 2002 :
* adapter l’Alliance pour lui permettre de réagir aux nouvelles menaces, dont le terrorisme ;
* poursuivre le processus d’élargissement et la mise en œuvre du Plan d’action pour l’adhésion (MAP) avec l’Albanie, la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine ;
* développer les capacités nécessaires dans les domaines opérationnels essentiels afin d’accroître l’efficacité des forces de l’Alliance ;
* établir de nouvelles relations et renforcer la coopération dans le cadre du Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA), du nouveau Conseil OTAN-Russie, de la Commission OTAN-Ukraine et du Dialogue méditerranéen ;
* développer le partenariat stratégique entre l’OTAN et l’Union européenne ;
* respecter l’engagement de l’OTAN en faveur de la paix et de la stabilité dans les Balkans.
De la dialectique pour camoufler la panne du processus politique dans lequel est l’Alliance depuis l’équipée unilatérale de son membre fondateur et bénéficiaire exclusif, les Etats-Unis. Aussi la visite du président George W. Bush aux autorités européennes, Union et Alliance, prend-elle un tour particulier. Les vingt-six membres de l’Alliance atlantique se sont engagés mardi à Bruxelles, à l’occasion de la tournée européenne du président Bush, à « renforcer le rôle de l’OTAN », sans toutefois préciser les modalités de la mise en œuvre de cette décision… en évitant soigneusement de dire comment ils comptaient s’y prendre. « Nous comptons bien renforcer le rôle de l’OTAN en tant que forum de consultation et de coordination entre les alliés sur les questions stratégiques et politiques », ont-ils dit dans une déclaration commune à l’issue de la réunion. « Nous réaffirmons son rôle en tant que forum essentiel de consultation entre l’Europe et l’Amérique sur les questions de sécurité », ajoute le texte.
La question du rôle de l’OTAN a été soulevée en premier par Gerhard Schröder le 12 février, en marge de la conférence sur la sécurité de Munich. Le chancelier allemand avait lancé un pavé dans la mare en affirmant que l’OTAN n’était « plus le lieu principal où les partenaires transatlantiques discutent et coordonnent leurs stratégies ». Sa proposition de créer « un panel de haut niveau » pour réfléchir à la réforme de ses structures avait été fraîchement accueillie par le secrétaire américain à la défense, Donald Rumsfeld, et le secrétaire général de l’organisation, Jaap de Hoop Scheffer. Le sommet de mardi « démontre que l’OTAN continue de jouer son rôle unique en tant que principal forum » transatlantique, a répliqué mardi M. de Hoop Scheffer à l’issue de la réunion. « Tout le monde a entendu le chancelier Schröder parler haut et fort, tout le monde a entendu le secrétaire général parler haut et fort », a relevé à son tour le président Bush. Il a fait valoir que Jaap de Hoop Scheffer mettrait bientôt au point « un plan d’action » à ce sujet.
Les dirigeants de l’OTAN « se sont mis d’accord pour que le secrétaire général entame cette réflexion, mais il n’y a eu aucune discussion quant à la forme qu’elle devrait prendre », a déclaré un responsable de l’OTAN sous couvert de l’anonymat. La question du dialogue transatlantique est au cœur du constat du chancelier Schröder et des remarques du président français, Jacques Chirac. « L’Europe et les Etats-Unis sont de vrais partenaires. Il nous faut donc dialoguer et nous écouter davantage », a fait valoir mardi M. Chirac dans une courte allocution dès l’ouverture du sommet. Le chef de l’Etat français a estimé qu’ « il fallait aussi, comme l’a souligné le chancelier fédéral allemand, continuer à prendre la mesure des changements intervenus sur le continent européen ». Les propos de M. Chirac ont sonné comme un avertissement après les déclarations de M. Rumsfeld, qui avait affirmé à Munich que la recherche d’un consensus prenait du temps à l’OTAN et que des actions rapides étaient parfois requises sans consensus préalable.
M. Schröder était revenu mardi dernier sur ses propos en soulignant qu’il s’agissait de « développer le dialogue transatlantique et faire en sorte qu’il repose sur des fondations solides » et que « cela voulait aussi dire que vous avez un plus grand mot à dire dans les décisions qui sont prises ». Mardi, au siège de l’OTAN, le mot d’ordre était toutefois de se féliciter de la nouvelle volonté d’écoute manifestée par le président américain, sans aller plus loin. « Je ne suis pas sûr du tout qu’il y ait une contradiction entre la proposition du chancelier allemand, que je soutiens entièrement, et la réaction du secrétaire général de l’OTAN », a déclaré M. Chirac à l’issue du sommet. M. Schröder lui-même n’a pas été beaucoup plus explicite. « Fondamentalement, il y a un très large accord pour renforcer le dialogue politique », a-t-il affirmé. « Mais, en ce qui concerne la forme, nous allons certainement avoir l’occasion d’y revenir ».
Encore un sommet pour rien. Et le troisième pilier de l’Union, dans sa dimension militaire, reste en panne.

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