17.2.05

Le complot permanent

Les médias sont une formidable caisse de résonance. Ils donnent corps à une appréhension de la réalité à destination d’un public toujours plus mal informé, en raison de ses zappes incessants de la presse écrite aux journaux audiovisuels et à Internet, et mal éduqué. D’un côté le sentiment de posséder la substantielle moelle de l’actualité, de l’autre son incapacité à en comprendre le sens particulier. C’est comme cela que le « Da Vinci Code », roman de Dan Browne, est devenu un manuscrit révélant le caractère caché de la religion chrétienne. Ou encore l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri donne-t-il corps à une culpabilité syrienne, avant que les enquêteurs, justement parce qu’ils seront à la botte du gouvernement libanais, donc de Damas, aient seulement évoqué une piste. Comme la mort accidentelle de Lady Di est imputée aux services de renseignement britanniques…
En fait, pour comprendre ce succès des thèses conspirationnistes, il faut revenir sur les attentats du 11 septembre 2001. Déjà actives autour de la mondialisation, de ses méfaits supposés et autres légendes urbaines, elles ont repris une réalité autour de l’ouvrage de Thierry Meyssan, ont été portées par les manifestations contre la guerre d’Irak, alimentant les critiques de l’Amérique et de son président, démocratiquement élu par un peuple souverain… Culturellement, elles ont donné lieu à une distorsion similaire de la réalité, à grand renfort de propos tronqués et d’affirmations péremptoires dans tous les médias de grande diffusion, de réduction de tout esprit critique à un gauchisme caricatural, d’amalgames avec l’extrême droite, et d’interventions à sens unique de pseudo-experts. Toute analyse de l’actualité ne relève plus dès lors de l’ordre du journalisme, mais du pamphlet.
Depuis le 11 septembre 2001, comme pendant l’entre-deux-guerres en Europe, avec le complot judéo-maçonnico-bolchévique, ou aux Etats-Unis dans les premiers temps de l’après deuxième guerre mondiale, autour de la connaissance par Roosevelt de l’imminente attaque japonaise sur Pearl Harbor, la théorie du complot devient une commode explication. Le terrorisme, les tensions internationales, la réélection de Bush lui assurent une voie royale. Une part croissante de l’opinion publique croit en l’existence d’une vaste conspiration visant à conquérir le monde. Ses bras armés : les Américains, les Israéliens, mais aussi la haute finance ou encore le FMI. Elle permet de recycler tout ce que l’humanité compte de frustrés, anti-américains ou antisémites, racistes ou simples profiteurs de haine. Un ouvrage récent, signé du journaliste Antoine Vitkine, « Les nouveaux imposteurs » Paris, La Martinière, février 2005), reprend la généalogie récente du mythe , montrant que les tenants de théorie du complot ne sont plus les mêmes. Jadis monopole de l’extrême droite, elle séduit maintenant une partie de l’extrême gauche, se diffuse grâce aux alter-mondialistes, prospère dans le monde arabe, sur Internet. Plus inquiétant encore, des personnalités médiatiques en vue, des Guignols de l’Info à Thierry Ardisson, sans oublier le populaire Michael Moore, mais aussi des journalistes réputés, la relaient auprès du grand public.
Internet est naturellement un formidable moyen pour faire prendre des rumeurs. Elles se propagent au gré du réseau, d’un site à un forum, puis à un blog, et finissent toujours par arriver aux oreilles de journalistes complaisants (au sens où la rumeur leur semble crédible) qui les diffusent. La télévision et la presse écrite touchent alors toutes les couches de l’opinion publique, contribuant à donner une réalité à la rumeur.
Le nouveau roman de Michael Crichton, « State of fear » (« Etat de peur »), publié chez Harper Collins et à paraître en 2006 chez Robert Laffont, ne fait pas exception. Ce pourrait être un best-seller de plus à mettre à l’actif du créateur de la série télévisée «Urgences» et auteur de livres à succès, comme « Jurassic Park », Michael Crichton. Seulement, il semble promis au même destin que le « Da Vinci Code » car, loin d’être un simple thriller, il met en doute la réalité du changement climatique, attisant ainsi la controverse sur cette question, qui divise les scientifiques et la classe politique, au moment de l’entrée en vigueur du traité de Kyoto. « Personne ne sait si la tendance au réchauffement est un véritable phénomène naturel, écrit Michael Crichton. Personne ne sait jusqu'à quel point elle est liée à l'activité humaine. Personne ne sait si le réchauffement va se poursuivre au siècle prochain. » Personne ne pouvait prouver qu’un avion s’était écrasé sur le Pentagone affirmait Thierry Messian !
Offrant tous les ingrédients du genre – action, suspense – « State of fear » innove en donnant le rôle du « méchant » à une organisation écologiste qui dérive vers le terrorisme. Celle-ci en vient à planifier des catastrophes naturelles, comme un tsunami ou le décrochage d’un iceberg géant de l’Antarctique, pour convaincre l’opinion publique de la réalité du réchauffement de la Terre et lever ainsi davantage de fonds. Truffé de notes de bas de pages et de graphiques, il donne l’illusion d’un travail scientifique au lecteur. Le livre comporte même un appendice dans lequel Michael Crichton justifie sa position, laquelle concorde avec celle de l’administration Bush, qui refuse de ratifier le protocole de Kyoto.
Un sénateur républicain, James Inhofe, a ainsi jugé que « State of fear » écrivait la « véritable histoire » du changement climatique (http://inhofe.senate.gov/pressreleases/climateupdate.htm). Invité à s’exprimer voici dix jours devant un institut de recherches de Washington, où il a fait salle comble, Michael Crichton a regretté que la science soit trop souvent «manipulée pour des motivations politiques», que les études soient acceptées sans vérification et que les médias privilégient l’alarmisme. « Crichton a évidemment été inspiré par les théories de la conspiration écologiste exprimées dans “L’écologiste sceptique” de Björn Lomborg» (L'écologiste sceptique, Le véritable état de la planète publié aux Cambridge University Press, en 2001, et au Cherche Midi, en 2004), qui affirme que la planète se porte de mieux en mieux, estime Myles Allen, climatologue à Oxford dans la revue Nature du 20 janvier 2005 (http://www.climateprediction.net/science/pubs/nature_first_results.pdf).
Nombre de scientifiques sont montés au créneau pour réagir. Certains ont même créé un blog Internet, Realclimate (www.realclimate.org), pour rétablir certaines vérités sur la réalité du changement climatique. un article publié jeudi dernier dans la revue Nature, des chercheurs montrent que la fin du XXe siècle est la décennie la plus chaude jamais enregistrée depuis 2 000 ans, avec des températures moyennes supérieures de 0,7 °C aux années 1600. Et ce phénomène devrait s'accélérer. Dans les années 2040, plus de la moitié des années pourraient ainsi être plus chaudes que 2003, estiment des chercheurs britanniques du Hadley Center. 2004 a été, selon l'Organisation météorologique mondiale (OMM), la quatrième année la plus chaude depuis 1861. Et l'organisation prédit que la poursuite de ce réchauffement devrait provoquer davantage de phénomènes extrêmes tels qu'ouragans et sécheresses. « Comme le film “Le Jour d’après”, ce roman évoque des questions et des controverses scientifiques réelles, mais il se montre tout aussi sélectif (et parfois erroné) sur la science de base », regrette Gavin Schmidt, du Goddard Institute de la Nasa (Michael Crichton’s State of Confusion, post du 13 décembre 2004,
http://www.realclimate.org/index.php?p=74). Michael Crichton objecte qu'une partie de l'Antarctique se refroidirait, que les glaciers continueraient de progresser, que l'élévation du niveau des océans n'est pas démontrée, avançant que les données des satellites sont contraires à celles communiquées par les marégraphes, qui servent à mesurer le niveau de la mer, que les prévisions des modèles climatiques informatiques sont exagérées et entachées d'une importante marge d'erreur, reprenant à son compte une réserve émise notamment par le climatologue américain Richard Lindzen. Il estimait que les prévisions du groupe d'experts international sur le climat (IPCC) (+ 1,4 à 5,8 °C d'ici à 2100), autour desquelles existe un consensus scientifique, présentent une marge d'erreur de 400 %. Et Crichton de lancer ses propres prévisions, sans marge d'incertitude : + 0,8 °C au cours du XXIe siècle.

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