18.2.05

Le nouveau tsar du renseignement américain

La création de ce nouveau poste était au cœur des recommandations de la Commission du 11-Septembre, qui avait publié ses conclusions durant l’été 2004. La communauté du renseignement avait, à l’époque, essuyé de nombreuses critiques en raison de carence, notamment d’organisation et de communication. Le président américain, George W. Bush, n’a pas nommé jeudi 17 février n’importe qui ! Même après que trois personnalités du renseignement ont, selon un responsable de l’Administration, refusé cette charge, le choix présidentiel s’est porté sur un diplomate, John Negroponte, actuel ambassadeur américain en Irak, après avoir représenté les Etats-Unis aux Nations unies et aux Honduras. George W. Bush a choisi de faire appel au meilleur spécialiste actuel de la « guerre de basse intensité ».
Diplômé de Yale, John Negroponte est entré au Foreign Service en 1960. Quatre ans plus tard, il est au Sud Vietnam, puis au Cambodge, en tant qu’officier chargé des affaires politiques. De 1971 à 1973, il est responsable du Vietnam au Conseil national de sécurité (NSC), dirigé par Henry Kissinger. Après avoir représenté les Etats-Unis au Honduras (1981-1985), il retourne au NSC, de 1987 à 1989, en tant qu’assistant délégué du président pour les questions de sécurité nationale. Puis il reprend une carrière d’ambassadeur, au Mexique (1989-1993) puis aux Philippines (1993-1997). Il passe les dernières années Clinton dans le privé, vice-président pour les marchés mondiaux de la société de bourse McGraw-Hill. Il préside également la French-American Foundation qui « forme » des hommes politiques et journalistes français et finance des travaux universitaires ; à ce titre, il dispose d’un bureau à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris. En 2001, il revient au service de l’administration fédérale comme ambassadeur aux Nations unies, puis en Irak.
Ce héraut du néo-conservatisme présente un profil de carrière classique pour un « haut-fonctionnaire » américain. Comme tel, il a fréquenté les sphères du renseignement depuis le début de sa carrière. Les mauvaises langues lui voient même une carrière au service du renseignement américain, dans la guerre menée contre les rebelles zapatistes du Chiapas, mais surtout au Honduras. Les mêmes propos avaient été tenus à propos de la nomination d’Otto Juan Reich comme secrétaire d’Etat adjoint pour l’Amérique latine en 2001 ; il avait administrateur adjoint de l’United States Agency for International Development (USAID) (1981-1983), puis le premier directeur du bureau de diplomatie publique du Département d’Etat pour l’Amérique latine et les Caraïbes (1983-1986), avant de gagner un poste d’ambassadeur au Venezuela (1986-1989). Thomas Pickering était ambassadeur au Salvador (1983-1985), avant de gagner la représentation américaine aux Nations unies (1989-1992)…
Alors que l’administration Carter avait choisi de ne plus soutenir les dictatures anti-communistes d’Amérique latine et de ne pas réagir au renversement de Somoza par les sandinistes nicaraguayens, l’administration Reagan était décidée à reprendre le combat par tous les moyens. Cette décision était d’autant plus difficile à mettre en œuvre que les populations de cette région, confrontées à de dures conditions sociales, soutenaient spontanément les formations marxistes. Elle était aussi difficile à « vendre » à l’opinion publique américaine, difficile à convaincre de soutenir une intervention militaire directe depuis le Vietnam. La « guerre de basse intensité » trouve-là son origine. Il s’agissait de mener une guerre, sans que les troupes américaines ne soient utilisées, donc sans déclaration de guerre, donc sans justification auprès du Congrès. Dès novembre 1981, la décision est prise de soutenir par des opérations secrètes et des livraisons d’armes les contre-révolutionnaires nicaraguayens, ou Contras. Ce processus est renforcé lorsque, en 1982, la révolution menace de s’étendre au Salvador voisin. Comme Reich et Pickering, Negroponte se trouvait à une place stratégique.
John Negroponte n’a jamais admis avoir joué un rôle actif dans la répression militaire du Honduras au début des années 1980 et se justifie en expliquant qu’il n’avait guère le choix compte tenu des réalités politiques. Lorsqu’il a été nommé ambassadeur à l’ONU, en 2001, plusieurs anciens membres du Bataillon 316 ont été discrètement exfiltrés, pour éviter qu’ils ne soient appelés à témoigner contre lui. Le général Discua, créateur du Bataillon 316 et un temps ambassadeur du Honduras à l’ONU, dont le visa avait été annulé, s’était alors vengé en confirmant publiquement le soutien des États-Unis aux opérations de ses escadrons de la mort et le rôle exact de Negroponte. Aux Nations unies, l’ambassadeur a conduit la campagne de dénigrement des inspecteurs en désarmement, et plus particulièrement d’Hans Blix. Il n’aura passé que huit mois comme « pro-consul » en Irak…
« La nomination de John [Negroponte] intervient à un moment historique pour nos services de renseignement. Dans la guerre contre les terroristes qui prennent pour cible des civils innocents et cherchent toujours à obtenir des armes de destruction massive, le renseignement est notre première ligne de défense », a estimé George W. Bush. Elle devra encore être confirmée par le Sénat américain. « Les responsabilités du directeur sont directes et difficiles : John s’assurera que ceux dont la mission est de défendre l’Amérique ont l’information dont ils ont besoin pour prendre les bonnes décisions », a précisé le président, en rappelant les missions associées à ce nouveau poste : « John dirigera la communauté du renseignement et sera le principal conseiller du président sur les questions de renseignement. Il aura l’autorité de demander la collecte de renseignements, d’assurer le partage de l’information entre les services et d’établir des normes communes pour les membres des services de renseignement. » Il aura aussi « la responsabilité de déterminer les budgets annuels pour toutes les agences et bureaux de renseignement nationaux et de décider la façon dont ces fonds sont dépensés ».
La création de ce nouveau poste était au cœur des recommandations de la Commission du 11-Septembre, qui avait publié ses conclusions durant l’été 2004. La communauté du renseignement avait, à l’époque, essuyé de nombreuses critiques en raison des carences en matière d’organisation et de communication. La Commission a prôné davantage de centralisation dans le contrôle de différentes agences, afin d’être plus efficace. La question de ce nouveau poste s’est politisée après des rumeurs selon lesquelles Donald Rumsfeld, secrétaire à la défense américain, ainsi que le Pentagone voulaient éviter de placer le contrôle du renseignement au Pentagone et du budget sous l’autorité d’un nouveau directeur.
Indéniablement, le nouveau tsar a la taille du poste qui lui est offert. Mais la communauté américaine du renseignement reste un mode difficile à manœuvrer…

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