23.2.05

L'IRA est accusée de dérive criminelle

IRLANDE DU NORD Le «casse du siècle» de Belfast menace le processus de paix

Le ministre britannique chargé de l'Irlande du Nord, Paul Murphy, a recommandé hier au Parlement de nouvelles sanctions financières à l'encontre des élus du Sinn Féin, dont le bras armé, l'IRA, est tenu responsable du cambriolage de la Northern Bank à Belfast.

Londres : Paul Cecconi
[LE FIGARO, 23 février 2005]


Comme dans un roman policier, tout commence par un audacieux braquage, présenté comme le «casse du siècle». Cela se poursuit par la découverte d'un réseau de blanchiment d'argent, puis l'arrestation d'un criminel qui cachait des centaines de milliers de livres sterling volées dans des paquets de lessive et dans les toilettes d'une salle de gym.
Mais pour l'Irlande du Nord, ce fait divers n'est pas un simple polar : c'est un nouvel épisode d'un triste feuilleton politique qui dure depuis trente ans. La victime dans cette région, perpétuellement au bord de la crise politique, est encore la paix entre protestants et catholiques d'Ulster, cette province du Royaume-Uni avec une population à forte majorité catholique.
Cette crise est d'autant plus grave qu'elle éclabousse de plein fouet le Sinn Féin et son charismatique leader, Gerry Adams. Le principal parti politique de la communauté catholique d'Irlande du Nord et vitrine légale de l'Armée républicaine irlandaise, l'IRA, est accusé de ne plus contrôler ses troupes. Pire, Gerry Adams et son bras droit Martin McGuinness, élus de l'Assemblée nord-irlandaise et reçus régulièrement à Downing Street par Tony Blair, sont soupçonnés d'avoir fermé les yeux sur les dérives criminelles de l'IRA, voire de les avoir autorisées. Les anciens gros bras de l'IRA, formés aux techniques terroristes dans les années 70 en Libye et dans les territoires palestiniens, n'ont plus de convictions politiques : vol, trafic d'armes, de drogue, l'IRA est désormais une organisation criminelle, selon certaines sources. Cette accusation n'est pas nouvelle : ce qui est nouveau en revanche, c'est l'attitude du Sinn Féin, dénoncée à l'unisson par les classes politiques britannique et irlandaise et par la police.
Cette crise a débuté le 20 décembre dernier, lorsque des malfaiteurs s'emparent dans les coffres de la Northern Bank à Belfast de plus de 36 millions d'euros en billets. Les cambrioleurs, visiblement très organisés, avaient pris en otages pendant deux jours les familles de deux employés de la banque, afin que les deux hommes leur ouvrent le coffre-fort, vidé de son contenu en quelques heures dans une camionnette. Les soupçons de la police nord-irlandaise et de la Garda, son homologue irlandaise, se portent rapidement sur l'IRA, en raison de l'ampleur de l'opération et de son organisation quasi-militaire.
La semaine dernière, la Garda découvre près de 2,3 millions de livres en billets chez un homme d'affaires lié à un ancien vice-président de Sinn Féin, Phil Flynn. Huit personnes sont arrêtées, dont un cuisinier soupçonné de blanchir de l'argent pour l'IRA. L'enquête de police qui s'intéresse également aux liens entre l'IRA et le crime organisé bulgare, n'a pas encore lié officiellement les arrestations de Cork au cambriolage de Belfast, mais le «casse du siècle» de décembre dernier n'est pas le seul signe de radicalisation du mouvement républicain catholique. L'affaire Mc Cartney agite aussi beaucoup la communauté catholique de Belfast. Le 30 janvier, Robert Mc Cartney, 33 ans, est retrouvé un couteau planté dans le coeur, devant le Magennis's bar, haut lieu de réunions de l'IRA à Belfast. La famille (catholique) de Mc Cartney accuse l'IRA d'avoir couvert la fuite du meurtrier.
Le regain de violence et le silence embarrassé des dirigeants du Sinn Féin ont éclaboussé la réputation de Gerry Adams et brouillé encore plus les frontières déjà très floues entre IRA et Sinn Féin. Hier, le ministre britannique chargé de l'Irlande du Nord, Paul Murphy, a annoncé au Parlement des sanctions financières à l'encontre des élus du Sinn Féin en les privant de l'enveloppe annuelle dont bénéficie le parti à l'Assemblée nord-irlandaise. Il a toutefois rejeté les appels pour exclure le Sinn Féin du processus politique.
Le camp protestant, lui, se régale des déconvenues de Gerry Adams et de Martin McGuinness. Le Parti des démocrates unionistes (DUP) du révérend extrémiste Ian Paisley a décidé de couper tous les ponts avec le Sinn Féin : «le dialogue est terminé», a martelé le leader protestant, vainqueur des élections locales de 2004, qui a toujours considéré le Sinn Féin comme «un parti de criminels».

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