23.2.05

Vive le Liban, Monsieur

Après que George W. Bush a sommé Damas de mettre fin à l'occupation de son voisin

PAR JEAN-FRANÇOIS DENIAU de l'Académie française
[23 février 2005]


Il y a, paraît-il, un président de la République du Liban qui n'a pas hésité à utiliser les pressions des forces d'occupation syriennes pour faire prolonger illégalement de trois ans son mandat. La honte peut se dire en plusieurs langues. Un parlementaire français au XIXe siècle, quand le tsar écrasait un soulèvement à Varsovie, s'était rendu célèbre en l'interpellant : «Vive la Pologne, Monsieur.» Monsieur, à l'égard du tsar, c'était une injure. Comme on aimerait crier à ce faux président : vive le Liban, Monsieur.
Un espoir est né, comme souvent, du malheur.
L'assassinat d'Hariri a créé une communauté là où il y avait division, et une division qui était organisée de l'extérieur. Les Libanais disaient la guerre des autres. Maintenant, nous avons la réponse : l'exemple ukrainien. Vive l'Ukraine, M. Poutine. Nous avons en quelque sorte des lois de la révolution sans violence et sans tués. Il y avait eu celle des Oeillets à Lisbonne, celle de Velours à Prague. Il vient d'y avoir la révolution Orange de Kiev. Espérons celle du Cèdre à Beyrouth.
Première loi : pas de mort. Toute violence qui conduirait à des tués servirait l'occupant. Pendant près de quatre siècles, les Anglais ont justifié leur occupation de l'Irlande par le fait que les Irlandais étaient incapables de se gouverner et qu'ils ne savaient que se tuer entre eux. Aujourd'hui, la République d'Irlande est l'enfant modèle de l'Europe. A peu près le même argument avait été utilisé par les Russes, quel que soit le régime, à l'égard des Polonais. Les colonialistes, à l'égard de toutes les colonies, n'ont pas parlé autrement. Il ne faut pas donner à l'armée syrienne la moindre occasion de justifier sa présence.
Deuxième loi : la durée. Organiser une manifestation d'un ou quelques jours est à la portée de tout professionnel. Et contrer, réduire, battre une manifestation d'un jour est à la portée de toutes les forces de l'ordre. Mais si la manifestation pacifique dure des semaines, des mois ? Personne, non, personne ne peut maîtriser une manifestation qui dure. A la demande des manifestants eux-mêmes, j'étais intervenu à Belgrade pour mettre fin à trois mois de manifestations qui risquaient à tout moment de dégénérer. L'accord fut simple : arrêt des manifestations contre reconnaissance explicite par le gouvernement Milosevic de la fraude électorale massive et restitution immédiate de quatorze municipalités, dont Belgrade, à l'opposition. La révolution Orange de Kiev, dans le gel et la neige, a aussi duré trois mois.
La durée exige une très étroite coordination politique, à la tête bien sûr. Mais aussi couchages, soins, repas, veilles, tours de présence. On pourrait dire, comme dans la marine : quarts. Quarts de révolution ! Et attention aux agents doubles qui sont des provocateurs. Rien n'a autant besoin d'organisation et d'un service d'ordre impeccable qu'une révolution pacifique...
Troisième loi. Deux objectifs, un seul combat. Les deux objectifs sont l'indépendance et la démocratie. On a malheureusement connu des indépendances qui ont conduit à des dictatures et des terreurs. Le combat doit donc être mené sur les deux plans, indissociables, chacun des deux buts renforçant l'autre. Synergie de l'indépendance et de la démocratie. Dans le cas du Liban, cela veut dire : départ des troupes d'occupation et élections libres.
Les Syriens dénonceront la main de l'étranger ? Aux Libanais, et à eux seuls, d'être dans la rue. Quant aux Français, amis qui autrefois avaient mis leur écharpe tricolore d'élus du peuple pour venir témoigner face à l'offensive des chars de Damas, qu'ils restent fidèles, en se méfiant des arguments de l'occupant, qui ne manquera pas d'évoquer les manoeuvres et menaces des impérialistes incorrigibles. Quand on crie démocratie et liberté, c'est vrai, on se réfère à une histoire, un monde, un exemple qui sont ceux des peuples et non pas des autorités de rencontre, comme aurait dit le général de Gaulle, on prend un risque. Vive le Liban, Monsieur.

Aucun commentaire: