15.2.05

Réflexions frontalières

Hier soir, France 3 diffusait un intéressant reportage consacré aux « douaniers au cœur de tous les trafics ». Au-delà des inévitables approximations journalistiques (combien de fois devra-t-on rappeler qu’un service de renseignement n’a pas comme « principale mission le flagrant délit », même si la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières a aussi une action de répression de la criminalité ? De même, la « retenue douanière » obéit aux mêmes règles que la mise en examen) et des efforts de scénarisation, le travail de l’agence CAPA tombait fort à propos. La médiatisation des gabelous est peut-être la moins aboutie de toutes les forces de sécurité française. En effet, depuis la brillante série télévisée « Opération trafics », dans les années 1970, les hommes à la « bande rouge », certes « héritage napoléonien », mais surtout de la Légion d’honneur dont ils ont été pourvus en raison de leur courage au combat sur tous les théâtres d’opération de l’Empire, ont été laissés dans un épais brouillard. Tout le monde se souvient de Fernand Reynaud, mais personne n’image la mission des douaniers. En témoigne cette ahurissante fixation du journaliste sur le fait que les agents des douanes portent une arme…
Ce déficit médiatique est également responsable du sort tragique fait aux douaniers depuis 1993. Le reportage l’aborde brièvement, trop peut-être, en ne laissant la parole qu’à un chef de brigade de surveillance qui évoque la suppression des frontières intracommunautaire pour parler de son besoin de s’inventer de nouvelles missions pour « sauver [son] emploi ». Le problème est plus complexe. Les autorités françaises ont sacrifié leurs gabelous sur l’autel de la concurrence inter-policière. Alors que gendarmes et policiers manœuvraient auprès de leurs ministères pour élargir leurs compétences, les Finances retoquaient leur configuration fiscale pour recycler leurs agents en civil, laissant mourir ceux en tenue. Au mieux, ils devenaient des pots-de-fleurs des hôtels des finances (comme un temps aux Monnaies et médailles, à Paris) ou pilotes de la navette du ministre à Bercy. Le sort fait aux marins et aux aviateurs, pas plus tard que la semaine dernière, en est la triste réalité. Mais qui se soucie encore d’un douanier en tenue ? D’ailleurs, qu’est-ce qu’un douanier ?
Au même titre que les gendarmes et les policiers, il appartient à corps de défense de la France. Mais sa mission est économique. C’est à ce titre que le reportage insistait justement sur les contrefaçons ; aujourd’hui, c’est à peu près tout ce qu’il reste aux douaniers. Un agent de constatation expliquait péniblement que c’était au service de la défense de l’industrie, et concluait qu’il s’agissait de défendre « nos » emplois. Cette mission de défense économique est toutefois plus large ; comme le notait un autre agent, les douanes sont « liées à tout ce qui se passe dans le monde ». Elles sont la première barrière de protection du tissu économique national. Les trafics d’objets contrefaits, d’œuvres d’art, d’animaux ne font que répondre à des accords internationaux auxquels est liée la France. Mais ils menacent également l’économie française, et même la France plus simplement.
En effet, ces trafics ne sont pas innocents. Bien sûr, ils profitent tous à des « criminels ». Mais ils sont surtout le témoignage des soubresauts géopolitique de notre monde. Prenons la drogue, dont la répression n’est pas à proprement parlé une compétence douanière. Mais les prises réalisées en douane sont révélatrices des besoins d’argent des mouvements de « libération » de par le monde. Il est insuffisamment dit que les conflits actuels sont financés par la drogue. C’est un moyen rapide d’obtenir des sommes conséquentes pour acheter des armes. L’ex-Yougoslavie a exploser comme cela ; les masses de drogues saisies ont explosé dans les mois précédents l’automne 1990. L’Afghanistan est le plus grand champ de pavot du monde ; de là à dire que les Talibans étaient un obstacle aux trafiquants et qu’ils ont financé une expédition américaine serait certes osés, mais pas complètement faux.
Les trafics ont souvent à leur origine des gouvernements, ou des hommes disposant d’appuis gouvernementaux. Et les douaniers disposent de pouvoirs étendus, que jalousent les autres services de police et craignent tous les autres. La « puissance du code des douanes » évoquée dans le reportage tient en peu de choses, dans les principales sont peut-être le droit de transiger et l’ampleur du rayon douanier. Force disciplinée, la douane en a toujours fait usage avec parcimonie. C’est ce qui la rendait forte et crainte. La lente liquidation des « hommes à la bande rouge », et avec eux de leurs penthières, en est la conséquence. Mais il faut bien comprendre que c’est un échelon de la sécurité de la France qui tend à disparaître. Partout ailleurs dans l’Union européenne, les agents des douanes ont été réorientés vers le contrôle économique. C’est ce cœur du métier que l’on tend à oublier en France…

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