21.2.05

Un petit peu de vocabulaire

Afin d’accueillir comme il se doit le président des Etats-Unis en Europe, c’est-à-dire autrement que par d’inutiles manifestations d’autres mondialistes, tout autant unilatéralement que lui, il paraît utile de revenir sur quelques notions de vocabulaire à usage euro-américain. Depuis deux ans, les médias francophones utilisent trop fréquemment des mots, certes proches de l’original américain, mais qui ne révèlent pas la réalité de la pensée outre-atlantique. Or, les relations internationales imposent l’usage de vocable adéquat.
Commençons aujourd’hui par la différence entre « preemptive » et « préventive ». Beaucoup mélangent les deux mots pour expliquer la politique américaine, au risque d’en sous-estimer sa réalité. Pourtant, elle s’inscrit dans le registre de la préemption. Les médias francophones ne l’utilisent pas car il se rapproche trop du langage administratico-juridique, permettant à une administration, voire une personne, de préférence à tout autre, d’acquérir un bien qui a été mis en vente. Ils préfèrent le traduire par préventif, qui vise à empêcher un événement de se produire. Les deux termes ont la même racine latine, « prae », qui signifie « avant », « devancer ». Seulement, la vérité lexicale, si importante dans le langage diplomatique, est parfois contredite par la subtilité verbale, toute autant aussi au vocabulaire des chancelleries.
La phraséologie américaine résulte de la situation des Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001. Le pays se sent assiégé par une menace indéfinie, le terrorisme, mais aussi par des ennemis identifié, les « rough states » comme l’Iran et la Corée du Nord. De ce point de vue, le discours sur l’état de l’Union de janvier 2003 était clair, comme celui de cette année d’ailleurs. Napoléon disait que l’on pardonnait tout à un commandant, sauf d’être surpris. Stratégiquement, la doctrine américaine ne peut plus se permettre d’être surprise. Et comme, tactiquement, la meilleure défense est l’attaque…
Militaire, préemption et prévention ne repose pas sur les mêmes fondements. La première sous-entend que les Etats-Unis s’arrogent le droit d’attaquer tout Etat qui serait susceptible d’être une menace pour leur sécurité. Par contre la seconde entend mettre fin à une menace avérée, avant qu’elle ne se réalise. Ainsi, peu importait que l’Irak détienne ou nom des armes de destruction massive puisqu’il apparaissait dans la doctrine américaine comme une menace éventuelle. Aujourd’hui, peu importe que l’Iran fabrique ou non l’arme atomique, ce pays appartient au camp des « ennemis de la liberté », nouvelle définition des Etats canailles. L’apparent succès des élections irakiennes incite les Etats-Unis à se promouvoir comme les défenseurs du monde libre (leur meilleur rôle depuis 1945), au besoin par le recours à la force. Ainsi, la notion de « préemption » prend toute son utilité dans le discours diplomatique.
Toutefois, il est facile d’interpréter cette précaution linguistique comme le résultat de l’érosion de l’image américaine dans le monde. Certes, son poids n’a jamais été aussi important, tant économiquement, que culturellement ou politiquement. Mais les interrogations sur la chute de Rome ne se sont jamais faites aussi présente depuis la fin de la Guerre froide. En 1989, Francis Fukuyama a diagnostiqué la « fin de l’Histoire », c’est-à-dire l’avènement de la démocratie mondiale, la fin de la guerre. Deux années auparavant, Paul Kennedy s’était interrogé sur la Naissance et déclin des grandes puissances ; la « surexpansion impériale » souligne des fragilités économiques et financières, en raison du poids du militaire sur l’économie et des contraintes du leadership occidental. Inéluctablement, les Etats-Unis font face à une érosion relative, de façon lente et régulière, dont le 11 septembre 2001 ne fut que le révélateur. Comme il s’agit d’un mouvement inéluctable, la préemption conflictuelle n’est finalement qu’un moyen pour repousser l’inéluctable.
Se pose alors la question du successeur ! Si le monde est véritablement mouvement gravitationnel occidental, la Chine semble tout indiqué. S’il n’existe aucun déterminisme, il y a de fortes chances qu’il se trouve au sein de la Triade qui mène aujourd’hui le monde, soit le Japon, soit l’Union européenne. Comme le premier est en passe à une crise autant morale que politique et financière… Mais ce n’est bien sûr qu’une question de vocabulaire.

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