3.3.05

La diplomatie entre les mots et les actes

La chronique de Thomas Ferenczi

LE MONDE | 03.03.05 | 15h09

Les européens sont bien décidés à apporter leur contribution au règlement du conflit israélo-palestinien. Ils ne veulent pas laisser aux Américains le monopole de l'action diplomatique. Depuis des années, ils multiplient les déclarations, les rencontres, les démarches, dépensent beaucoup d'argent, saluent les avancées, déplorent les reculs, félicitent les uns, tancent les autres. Et si toutes ces initiatives, aussi louables soient-elles, n'étaient que vaines gesticulations, sans réelle influence sur le processus de paix ?
Au moment où l'espoir renaît au Proche-Orient, des voix s'élèvent pour regretter la faiblesse de l'Europe. "Il n'y a plus de politique de la France et pas encore de politique européenne au Proche-Orient", déclare l'historien Elie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël en France, dans un entretien au Nouvel Observateur (daté 10-16 février). L'ancien ministre français des affaires étrangères, Hubert Védrine, ajoute dans le même hebdomadaire : "Aujourd'hui, les pays européens qui ont un point de vue sur cette question sont minoritaires. Une grosse majorité estime que moins on s'en mêle, mieux on se porte. Une majorité encore plus large juge que, même s'il est légitime de tenter quelque chose, il ne faut surtout rien faire puisque les Américains s'en occupent."
Les critiques adressées à l'Europe pour sa trop grande discrétion dans le conflit israélo-palestinien ne sont pas nouvelles. L'Institut d'études de sécurité, que dirige Nicole Gnesotto, s'en est fait l'écho en juillet 2003 dans l'une de ses publications (Chaillot Papers n° 62). En conclusion de cette étude, le chercheur espagnol Martin Ortega, spécialiste des relations internationales, soulignait que le principal reproche fait à l'Union était de se contenter d'une politique "déclaratoire" sans "aucune conséquence pratique".
Quant aux initiatives des Etats membres, il est généralement admis, notait l'auteur, qu'elles n'ont pas eu d'effet appréciable, en raison des divergences entre gouvernements. Ce qui manque à l'Europe, ajoutait-il, c'est la volonté politique.
La situation a-t-elle beaucoup changé depuis l'été 2003 ? On peut en douter. Une nouvelle étude, parue en janvier, sous la signature de Nathalie Tocci, chercheuse à l'Institut européen de Florence et au Centre for European Policy Studies (CEPS) de Bruxelles, s'interroge sur "l'écart grandissant entre la rhétorique et la réalité" dans la politique de l'Union au Proche-Orient.
L'Europe, explique-t-elle, dispose de deux sortes d'instruments pour agir : sa diplomatie et ses relations bilatérales tant avec Israël qu'avec les Palestiniens. Or, selon Nathalie Tocci, elle a échoué sur le plan diplomatique, se montrant incapable, malgré ses multiples efforts, de jouer "un rôle significatif" ; et elle n'a pas obtenu beaucoup plus de résultats en utilisant avec chacune des deux parties l'arme de l'aide économique et financière.
L'auteur ne croit pas que la raison principale de ces échecs réside dans les divisions internes de l'Union. L'impuissance diplomatique de l'Europe, dit-elle, résulte de deux facteurs : d'une part, Israël ne veut pas qu'elle joue un rôle actif dans les négociations et, d'autre part, elle ne croit pas elle-même en ses capacités d'action face à la puissance des Etats-Unis. Quant aux instruments économiques et financiers dont elle se sert dans sa double relation avec Israël et l'Autorité palestinienne, elle en use mal, selon l'auteur, faute d'imposer à ses interlocuteurs des conditions plus strictes.
L'Europe voudrait profiter de la relance des négociations pour exister davantage au Proche-Orient. "Les divergences entre Etats ne sont pas un obstacle, estime un diplomate en poste à Bruxelles. On trouve toujours des compromis, notamment entre ceux qui veulent ménager Israël et ceux qui sont prêts à se montrer plus durs." Ainsi, dit-il, lorsqu'il s'est agi de porter un jugement sur le mur de sécurité ou sur le retrait de Gaza, une formule acceptable par tous a-t-elle pu être mise au point. Sans doute. Mais si les différences d'appréciation n'empêchent pas les déclarations communes, elles ne facilitent pas l'action collective.
A supposer que les Vingt-Cinq soient parfaitement unis, il restera une difficulté majeure : ni les Israéliens ni même les Palestiniens ne souhaitent que l'Union exerce une responsabilité importante dans le règlement du conflit. Les premiers, qui stigmatisent volontiers l'Europe pour son antisémitisme et sa politique arabe, ont pour première préoccupation de conserver le soutien des Etats-Unis. Les seconds attendent surtout des Européens qu'ils fassent pression sur les Américains pour que ceux-ci s'engagent vraiment dans le processus de paix. Ni les uns ni les autres ne sont vraiment convaincus de la légitimité de la médiation européenne.
Dans ces conditions, l'Europe doit au moins tenter de mettre en accord ses paroles et ses actes. La tentation du renoncement existe dans plusieurs Etats membres, confie un officiel britannique, mais ce serait une erreur d'y céder. Il faut, au contraire, convaincre ceux qui voudraient tenir l'Europe à l'écart des affaires du monde que le Proche-Orient est à ses portes et que ses déchirements la touchent directement. L'Union peut profiter de la nouvelle situation créée par la mort de Yasser Arafat et les bonnes dispositions d'Ariel Sharon. L'issue de l'actuel remue-ménage diplomatique sera un test pour ceux qui ne désespèrent pas de "l'Europe puissance".
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.03.05

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