3.3.05

La France de moins en moins diplomate avec la Syrie

Otages.
La politique de Paris a aussi dû évoluer sur l'Irak et la Palestine.

Par Jean-Pierre PERRIN
jeudi 03 mars 2005


à Beyrouth

orsque la résolution 1559 est adoptée, le 2 septembre, par le Conseil de sécurité de l'ONU, elle est ressentie par Damas comme une véritable déclaration de guerre de la part de Paris. Comment la France a-t-elle pu s'allier avec les Etats-Unis pour mettre au point cette machine infernale ? La résolution vise non seulement à chasser la Syrie du Liban, mais fait aussi courir de graves risques intérieurs au jeune président Bachar el-Assad auquel, sur la tombe de son père, Jacques Chirac avait promis son amitié. Paris, auparavant, avait pris soin de mettre en garde le régime syrien, mais n'avait pas été entendu.
Cette résolution prévoit le retrait des 14 000 soldats syriens du Liban, le désarmement du Hezbollah et des groupes armés palestiniens et le contrôle par l'armée libanaise du Liban-Sud, qui, depuis le retrait israélien, est abandonné aux milices du Hezbollah.
But commun. En fait, ce texte est le fruit d'un compromis entre Washington et Paris. Pour les Américains, il s'agit de mettre à mal le régime syrien, soupçonné d'aider l'insurrection en Irak, et de neutraliser le Hezbollah, vu comme une organisation terroriste ennemie d'Israël. Les Français veulent plutôt que le Liban s'émancipe de la tutelle syrienne sans pour autant s'en prendre à l'organisation chiite, dont ils estiment qu'elle peut devenir un parti comme les autres. C'était d'ailleurs l'avis de Rafic Hariri, qui rencontrait régulièrement - deux fois par semaine, assure le Hezbollah - Hassan Nasrallah, le chef du «parti de Dieu». Paris et Washington partagent aussi un but commun: voir l'opposition libanaise remporter les législatives du printemps.
Le revirement de la France a coïncidé avec celui de Rafic Hariri. Proche de Hafez el-Assad, dont il défendait volontiers les intérêts à Paris, Hariri ne s'est en revanche jamais entendu avec son successeur, Bachar. Lorsque les Syriens ont prolongé le mandat du président Emile Lahoud, l'ennemi déclaré de Hariri, ce dernier est entré en dissidence. Dissidence jamais ouvertement déclarée du fait des risques qu'elle comportait. L'amitié entre l'ex-Premier ministre libanais et Jacques Chirac explique pour partie le changement de cap français. Dans certains milieux de l'opposition, on dit même que Hariri avait été le «père secret» de la résolution 1559 et qu'il a réussi à réconcilier Chirac et George W. Bush. Les experts y ajoutent deux autres raisons: l'une est la volonté de Paris de se rapprocher de Washington après la dure bataille diplomatique sur l'Irak. La seconde de ne pas laisser les Etats-Unis seuls en piste dans un Proche-Orient qu'ils s'emploient à dominer.
Depuis l'assassinat de Hariri, Paris apparaît plus déterminé que jamais à voir la Syrie sortir du Liban. On l'a vu, lorsque, aux obsèques, Jacques Chirac a ignoré les autorités libanaises. Pis, au domicile parisien du défunt, le jour de l'attentat, il a serré la main du général chrétien Michel Aoun - bête noire des Syriens -, qu'il avait toujours refusé de recevoir.
Nouvelle donne. Le bras de fer avec Damas se déroule dans un contexte régional où la France a réajusté ses positions. Après la mort d'Arafat et l'élection de Mahmoud Abbas à la présidence de l'Autorité palestinienne, le dialogue a repris avec Israël, donnant raison à Washington et à Jérusalem, pour qui Yasser Arafat était le «principal blocage». La France s'obstinait, elle, à le considérer comme un «interlocuteur incontournable». Devant cette nouvelle donne, les Etats-Unis se sont réengagés dans la région. La France s'en félicite et, fidèle à sa position traditionnelle, se fait fort de veiller à ce que les pressions ne s'exercent pas uniquement sur les Palestiniens.
Sur l'Irak aussi, Paris a dû évoluer. Avec le succès des élections irakiennes du 30 janvier, les Etats-Unis ont repris la main. Lors du sommet de l'Otan du 22 février, le président Bush a réussi à refaire l'unanimité, tous les états membres s'engageant à financer la formation des forces irakiennes. La France, qui y était jusque-là opposée, n'enverra toutefois personne sur place: elle s'en tient à sa proposition de former des gendarmes hors d'Irak. Auparavant, Paris avait accepté un allégement de la dette irakienne de 80 %, montrant sa volonté de travailler en commun avec les Américains pour sortir du bourbier, mais aussi de tourner la page d'un affrontement qui a trop longtemps pesé sur les relations franco-américaines.

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