2.3.05

La stratégie de la tension

L’enregistrement de Florence Aubenas rendu public hier matin n’en finit pas de poser des questions. Plutôt que de s’interroger sur le sens de l’appel lancé à Didier Julia, peut-être serait-il de bon ton de se poser celle de l’apparition de cet enregistrement ? En effet, n’arrive-t-il pas au moment où Serge July, directeur de la rédaction du quotidien « Libération », qui emploie la journaliste enlevée, commençait à clamer ses craintes pour la vie de l’otage. C’était la semaine dernière. Et une cassette apparaît, alors que depuis le début de cette affaire, les médias évoquaient un enlèvement criminel. Outre le fait que cette hypothèse accrédite le paiement de la rançon versée pour la libération de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, comme nous l’évoquions à l’époque, cette explication avait l’avantage de laisser augurer une recherche difficile et longue.
L’apparition de Florence Aubenas, en mauvais état physique et, surtout, psychique, sur les écrans du monde entier ramène cet enlèvement à une affaire politique. Soit que les auteurs de ce crime appartiennent à un groupe ba‘assite, soit qu’ils aient revendu leur otage à un tel groupe… La revendication, dénuée de toute portée politique immédiate, mais porteuse d’une bombe nommée Julia, est destinée au seul public français, au moment où les protagonistes de l’équipée ratée des « Pieds niquelés » sont convoqués chez le juge. Nulle théorie du complot, qui entendrait que les deux faits sont liés intrinsèquement. Mais comme la publication de la cassette de l’Italienne Giuliana Sgrena était arrivée au moment de la discussion du débat sur le renforcement des forces au Sénat.
La portée des enlèvements en Irak dépasse dorénavant la seule raison financière ou barbare — on se souvient des décapitations filmées et diffusées sur Al Jazira et sur différents sites Internet — et prend une portée politique. Les effets de la mobilisation massive des médias et des populations ont été digérés par les tenants de la guérilla irakienne, comme la portée des mises en scène à la Zarqawi l’avaient été. Dès lors, l’otage ne devient plus une arme de chantage. Il est une arme de discorde. L’objectif est terroriste : il vise à apporter la tension dans le monde démocratique, pour qu’il ait peur, pour que le fait majoritaire entre dans le cœur des démocrates et fasse gagner les preneurs d’otages.
La théorie de Robert Ménard est erronée. Les otages français aux Liban n’ont pas été libérés par la mobilisation médiatique. Certes, elle a permis qu’en France, on n’oublie pas Michel Serrat, Marcel Carton, Marcel Fontaine, Roger Auque, Jean-Paul Kaufmann, Jean-Louis Normandin, Philippe Rochot et Georges Hansen. Pendant deux ans, leurs photos ouvraient le journal télévisé d’Antenne 2. Mais elle n’a pas pesé sur les preneurs d’otages qui n’ont libéré leurs proies que contre espèces sonnantes. Les limites de ce business ayant semble-t-il été atteintes en Irak — la guérilla ba‘assite dispose de son propre financement —, la stratégie actuelle se contente d’exporter la tension dans les pays « occupants », assimilés à une « Umma » occidentale. Les musulmans l’appellent plutôt le « dar al gharb », le monde de la guerre. Les militaires l’englobent sous le vocable d’asymétrie.

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