2.3.05

L'appel au secours poignant de Florence Aubenas

RAK La vidéo de l'otage française, déposée à l'agence Reuters de Bagdad, n'éclaire en rien les revendications des ravisseurs

Adrien Jaulmes
[LE FIGARO, 02 mars 2005]

La cassette ne dure guère plus d'une minute. Les traits tirés, l'air épuisée, Florence Aubenas fixe la caméra en énonçant dans un anglais monocorde un appel au secours poignant: «Mon nom est Florence Aubenas. Je suis française. Je suis journaliste à Libération. S'il vous plaît. Aidez-moi. Je suis en mauvaise santé. Je suis en mauvaise santé psychologique aussi. S'il vous plaît, c'est urgent maintenant. Aidez-moi.»
Mais le sinistre rituel des preneurs d'otages irakiens n'est pas tout à fait respecté dans cette vidéo de l'otage française, diffusée hier après cinquante-cinq jours d'un étrange silence.
Au lieu de lui faire transmettre une revendication ou de relayer des menaces, les geôliers de Florence Aubenas ont ajouté à son texte un invraisemblable appel au député français Didier Julia.
«J'en appelle particulièrement à monsieur Didier Julia, le député français. S'il vous plaît monsieur Julia, aidez-moi. C'est urgent. Monsieur Julia. Aidez-moi!» conclut Florence Aubenas. La caméra zoome ensuite en arrière, montrant la journaliste assise par terre devant un fond rouge sombre, puis de nouveau vers le visage hâve de la captive, avant de s'interrompre, comme pour souligner par quelques secondes silencieuses toute l'étrangeté de ce singulier message.
Car au-delà du soulagement suscité par ces premières images de l'envoyée spéciale de Libération depuis son enlèvement, de l'émotion qu'inspirent ses traits exténués, et de la révolte devant les procédés des ravisseurs, ce mystérieux message sans revendication fait voler en éclats la thèse d'un enlèvement crapuleux dépourvu du moindre lien avec le rapt de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot, avancée jusqu'à présent avec la plus grande insistance par les autorités françaises.
Pis, en invoquant de façon provocante le nom de Didier Julia, l'un des protagonistes les plus contestés des efforts français pour obtenir la libération des précédents otages, les ravisseurs de Florence Aubenas et de son interprète viennent d'établir un lien symbolique entre les deux affaires.
Ils plongent aussi dans l'embarras le gouvernement français, qui avait publiquement désavoué les initiatives intempestives du député UMP et de ses acolytes.
Incompréhensible, à moins de le replacer dans l'hypothèse d'un nouveau chantage de la part des ravisseurs, le message indique aussi une parfaite connaissance des détails de la précédente affaire, Didier Julia ayant été le héros d'un épisode tragi-comique essentiellement franco-français.
L'hypothèse d'un rôle joué par les services secrets syriens, désireux de faire payer à la France son récent engagement aux côtés des Américains en faveur d'un retrait du Liban, déjà évoquée, est selon certains observateurs renforcée par les liens notoires du député français avec les autorités de Damas.
Mais en l'absence de toute revendication, ni même d'identification de la part des ravisseurs, qui donnent d'habitude le nom de leur organisation, la vidéo de Florence Aubenas soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses sur les revendications des preneurs d'otage.
Reste que le silence maintenu par les autorités françaises depuis le début de la captivité de Florence Aubenas, qui contraste avec les nombreuses déclarations de responsables politiques tout au long de la captivité de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot, devient difficile à tenir.
En admettant hier qu'une précédente cassette vidéo avait été montrée la semaine précédente à la famille Aubenas par les autorités françaises, mais n'avait pas été rendue publique, le cabinet de Jean-Pierre Raffarin a implicitement admis qu'il entendait garder le contrôle de toutes les informations en sa possession jusqu'à la libération de Florence Aubenas.
Mais les ravisseurs pourraient en avoir décidé autrement. Les précédents messages délivrés par les preneurs d'otages avaient été remis discrètement, et directement, aux autorités françaises. La première fois, quelques jours après la capture de la journaliste française, des inconnus étaient venus délivrer un message verbal au correspondant local de l'AFP dans la ville sunnite de Balat. Le canal par lequel la seconde cassette est parvenue aux autorités françaises n'est pas connu, mais aucun média n'a été prévenu de son existence. La nouvelle vidéo a quant à elle été délibérément délivrée dans un but de publicité. Déposée hier matin par un coursier à l'agence de presse britannique Reuters à Bagdad, la cassette a été diffusée en Italie, sur la chaîne d'information Sky-Italia, puis reprise sur différentes télévisions. Cette volonté de publicité contraste avec les sept semaines de silence des ravisseurs, et pourrait être le signe d'un changement de leur méthode de chantage.

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