2.3.05

Les services français n'excluent aucune piste, ni aucune manipulation

LE MONDE | 02.03.05 | 14h04

La vidéo de Florence Aubenas, reçue mardi 1er mars à Bagdad, a été confiée aux laboratoires du ministère de la défense pour expertise, a confirmé, mardi, Jean-Pierre Raffarin. "Nous avons déjà eu un document vidéo, la semaine passée, que nous avons montré à la famille", a indiqué le premier ministre. "Pour le moment, les laboratoires expertisent ce deuxième document pour savoir s'il est antérieur ou postérieur", a-t-il ajouté.
Le premier document, dont Libération a eu aussi connaissance, a été obtenu à Bagdad le 22 février. Il s'agit d'une courte vidéo de 40 secondes, gravée sur un CD-Rom, où la jeune femme apparaît assise sur un fond de tenture noire, sans aucun sigle, "l'air fatiguée et inquiète", indique le quotidien. Elle y décline, en anglais, son identité, sa date de naissance, sa nationalité, et lance un appel à l'aide, précisant là aussi être en mauvaise santé et "avoir besoin d'être secourue d'urgence". Aucune indication de date ou de lieu n'est perceptible. Le nom du député (UMP) Didier Julia n'est pas mentionné.
Les services de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) vont comparer image par image les deux vidéos, "sous tous -leurs- aspects, techniques, linguistiques". L'examen du visage de la journaliste, sur les deux enregistrements, devrait au moins permettre de déterminer celui qui a été tourné le premier. Reste que les indices sont maigres, et que l'enquête s'appuie surtout sur des spéculations.
L'hypothèse d'un "enlèvement crapuleux" a peu à peu pris de l'épaisseur : l'absence totale de contact pendant cinquante jours a conduit à écarter la piste de l'enlèvement politique. Lors des longues tractations pour obtenir la libération des deux journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot, les services français avaient établi un contact Internet régulier avec les ravisseurs : rien cette fois-ci. Mais si l'enlèvement est crapuleux, comment expliquer le silence prolongé du groupe et l'absence de demande de rançon ?
Les services français n'ont évidemment pas manqué de relever la coïncidence entre l'arrivée des deux vidéos, la crise libanaise et la mise en cause appuyée du rôle de la Syrie dans la région. La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, a notamment déclaré, mardi, à la chaîne américaine ABC News, que le groupe palestinien Djihad islamique, basé en Syrie, "était en fait impliqué dans la préparation des attentats de Tel Aviv" qui ont fait six morts, vendredi 25 février.
"Il ne faut pas exclure l'hypothèse d'une manipulation, de nature politique, visant à mettre la pression sur la France", reconnaît un diplomate à Paris. Mais le risque que prendrait la Syrie en jouant ainsi avec la vie de la journaliste française permet tout autant de retourner l'argument. "La Syrie ne constitue pas un bloc monolithique, explique un spécialiste policier de la région :Qu'aurait-elle à gagner, vu la pression qu'elle subit en ce moment ?"
La piste syrienne est surtout évoquée en raison des liens tissés par Didier Julia dans le pays, mis en évidence au cours de ses vaines démarches pour obtenir la libération des deux précédents otages. Il avait fait un déplacement très médiatisé à Damas, le 30 septembre 2004, en passant par Beyrouth. Ses deux équipiers, Philippe Brett et Philippe Evanno, sont restés plusieurs semaines sur place afin de "nouer des contacts". Ils ont été mis en examen, le 29 décembre, pour "intelligence avec une puissance ou une organisation étrangère". M. Julia n'a toujours pas été convoqué en vue de sa mise en examen.
"On peut penser que Florence ne fait pas mention librement de Didier Julia", a estimé Serge July, directeur de Libération, mardi, sur LCI. "Est-ce qu'il n'y a pas un lien avec l'affaire précédente ? Est-ce que, finalement, cette affaire, que l'on pensait criminelle, est en train de se politiser ? Est-ce une manipulation au deuxième ou troisième degré ? Toutes ces questions restent posées", a-t-il déclaré. La confusion est totale, reconnaît un magistrat. "Il faudrait être un analyste extrêmement subtil, versé dans les affaires irakiennes, a expliqué Jacqueline Aubenas, mère de la journaliste, mardi sur France 3, pour savoir ce que cache cet appel, pourquoi il a été imposé à Florence, -et s'il- va être bénéfique."

Service Société
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 03.03.05

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