27.4.05

Ghassan Salamé : «Un immense succès de la France»

L'ancien ministre libanais de la Culture analyse les conséquences du retrait syrien

Ghassan Salamé, professeur de relations internationales à l'Institut d'études politiques de Paris, a été ministre de la Culture dans le gouvernement de l'ex-premier ministre libanais assassiné, Rafic Hariri, puis conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU. Il répond aux questions du Figaro.

Propos recueillis par Luc de Barochez
[Le Figaro, 27 avril 2005]

LE FIGARO. – Le retrait militaire syrien étant achevé, le Liban devient-il véritablement indépendant ?

Ghassan SALAMÉ. – Ce jour de victoire pour le Liban est aussi un jour d'examen. Un jour de victoire, car la gestion syrienne de sa tutelle sur le Liban n'a fait que se dégrader ces dernières années, jusqu'à devenir insupportable pour la plus grande partie des Libanais. Mais aussi un jour d'examen, car, après deux décennies de tutelle syrienne, les Libanais doivent montrer qu'ils sont capables de se gouverner, de s'entendre sur l'essentiel et de ne pas laisser à nouveau triompher les facteurs de division.

Le retrait du Liban fragilise-t-il le régime syrien de Bachar el-Assad ?

Oui et non. Sous l'influence, du côté syrien comme du côté libanais, d'éléments mafieux et intéressés, la relation bilatérale était devenue une menace pour la crédibilité, voire la stabilité, de la Syrie. Des personnages peu recommandables maîtrisaient cette relation et en tiraient des bénéfices multiples. Pourtant, le retrait menace, en un sens, la Syrie : elle ne peut plus prétendre au rôle régional qu'elle revendique depuis trente-cinq ans. Elle perd en influence comme en prestige. Mais je suis persuadé que c'est aussi une opportunité pour la Syrie. Si jamais sa direction avait le courage de couper les branches les plus contestables du régime et de réformer le pays, alors la perte évidente d'influence régionale pourrait devenir une chance. Mais, pour relever ce défi, il faut de véritables hommes d'Etat.

Le retrait du Liban est-il conforme à ce qu'exigeait la communauté internationale, en particulier la France ?

Les médias français ont été plutôt pingres dans l'intérêt qu'ils ont manifesté au volontarisme déployé au plus haut niveau par la France pour aider à rétablir la souveraineté libanaise. Dès le début de 2004, la France a été très active, auprès des acteurs libanais, auprès de puissances régionales comme l'Egypte ou l'Arabie saoudite, et enfin en direction des Etats-Unis, pour créer une dynamique qui mette fin à la dégradation constante de la souveraineté libanaise. Le résultat, aujourd'hui, est un immense succès de la diplomatie française. C'est d'autant plus vrai que Paris n'a pas eu à payer de contrepartie, sur le dossier irakien par exemple, dans sa relation avec Washington. Les Etats-Unis, d'abord très réticents, se sont laissé convaincre d'accompagner le mouvement. La France a obtenu que le dossier libanais soit traité en lui-même, séparément de la lutte antiterroriste ou du conflit israélo-arabe.

Paris et Washington vont-ils maintenant diverger de nouveau, notamment sur l'attitude à adopter face au régime syrien ?

Nous avons assisté à une rencontre conjoncturelle sur un dossier particulier, celui du Liban. Aujourd'hui, chacun reprend sa position initiale. Néanmoins, la coopération des derniers mois ne laisse indifférent ni à Paris ni à Washington. La France a pu montrer aux Etats-Unis qu'en dépit d'un désaccord persistant et fondamental sur l'architecture du système mondial des points de rencontre pouvaient être trouvés. La leçon de cette affaire dépasse de loin le Liban. Elle montre que la logique «avec nous ou contre nous» est par trop brutale pour le monde du XXIe siècle. Le Liban a permis de relativiser cet absolu que les Etats-Unis avaient à un moment essayé d'imposer dans la relation transatlantique.

Ghassan Salamé vient de publier : Quand l'Amérique refait le monde, Fayard, 25 €.

1 commentaire:

Emmanuel a dit…

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