Drôle de reportage que celui que présentait Canal + l’autre jeudi, dans le cadre de son émission documentaire « lundi investigation » (sic), et consacré aux « intrigues et tractations au Vatican » après la mort de Jean-Paul II. Outre le fait qu’il n’apprenait rien de bien palpitant sur le véritable traumatisme politique que ce décès engendrait dans l’équilibre vatican, ni même sur l’ambiance qui règna dans la Cité de ce plus petit Etat au monde, mise à part, en caméra cachée, quelques visites du côté de la Vigilanza Santa Marta, ce travail de l’angence CAPA offrait un panorama des pratiques journalistiques actuelles et un étrange état des lieux de la diplomatie française. Dans le premier cas, la nécessité de faire vite, d’être présent sur les lieux de l’action, amène à quelques arrangements avec la discrétion diplomatique (comme lorsque l’ambassadeur français se souvient tout à coup que Mgr Barbarin, cardinal-archevêque de Lyon, porte un micro qu’il convient de débrancher) et donne lieu à de belles erreurs (les reporters semblaient ignorer que le Luxembourg, et non les Pays-Bas, assumait jusqu’en juin prochain la présidence de l’Union européenne).
Plus préoccupant toutefois était la présentation de l’action diplomatique française dans un moment de changement de direction à la tête d’un Etat. L’ouverture du reportage est tout à fait commune, même si elle offre journalistiquement parlant un scoop. Nous sommes le samedi 2 avril, peu après vingt-deux heures, lorsque l’annonce du décès de Jean-Paul II a été rendu officiel. Un secrétaire d’ambassade est de permanence. Il rappelle son ambassadeur, invité à un dîner en ville. Ce dernier rentre immédiatement à son poste, non sans être passé prendre, au préalable, sa secrétaire à son domicile. Jusque-là, rien de bien extraordinaire. Les usages administratifs et diplomatiques sont respectés. Idem le lendemain lorsque l’ambassadeur et son conseiller gagnent le Vatican pour les condoléances.
Le retour de Son Excellence Pierre Morel en son ambassade, après quelques discussions « diplomatiques » pose plus de questions. Il est de tradition que le traitement des personnalités et la collecte des informations sensibles n’intéressent guère les diplomates français. Mais là, cela dépasse tout entendement. Lui qui vantait devant la caméra les vertus de l’Annuario Pontificio se retrouve à demander, surpris, à son conseiller écclésiastique une bio de Mgr Sardi, dont on lui a dit qu’il était le vice-camerlingue, donc un personnage-clé de la vacance du Siège apostolique. L’information lui vient d’une source tout à fait crédible. La surprise est totale pour l’observateur. Alors que les médias ont remis à jour leurs bios des différents papabili depuis le début de l’agonie du Pontife défunt, l’ambassade en est encore à se répendre en conjectures. Même chose lorsque le diplomate français se démène auprès de cardinaux peu réceptifs à ses gesticulations d’influence pour contrecarrer une fantasmagorique collusion « néo-conservatrice » italienne au sein du Sacré Collège. Là encore, l’ambassade devrait connaître tous les rouages, c’est-à-dire être au fait de la tectonique du palais.
L’Etat de la Cité du Vatican n’est pas Washington ou Moscou. Les informations transpirent facilement et il n’est point besoin d’être grand clerc, et encore moins vaticansite, pour en tirer le plus grand parti. Ainsi, les cardinaux français ne sont que sept, dont cinq de moins de quatre-vingts ans, c’est-à-dire électeurs. Leur traitement par l’ambassade de France près le Saint-Siège, comprendre leur adhésion aux intérêts de la France, devrait chose acquise : il apparaît que non.
L’ambassade se complaît dans ce travers de nombre de diplomates, et de nombreux journalistes également, consistant à ne fréquenter que la communauté diplomatique. Il suffit de relire « les Ambassades » de Roger Peyrefite pour en comprendre les limites. Rien n’a changé depuis les années indolentes de l’entre-deux-guerres ! Et la « Dolce Vita » romaine est toujours ce qu’elle était… Ajoutez à cela que la réglementation pontificale, avec une vigilanza Santa-Anna qui ferme ses portes à vingt-deux heures, sinon le préfet de la Cité du Vatican doit être averti (s’il ne l’est pas, cela vaut pour le Monsignor, quel que soit son niveau hiérarchique, une réprimande), est assez contragnante. Vous comprendrez aisément que le personnel diplomatique cherche ses amitiés ailleurs, entre expatriés diplomatiques notamment.
Transposez ces comportements dans un poste plus exposé, au Kazakhstan, en Equateur, pour ne pas parler du Bouthan, et l’on comprendra que la France ne soit plus que l’ombre de ce qu’elle était. Heureusement que, pour le recueil, le traitement et l’analyse de l’information, il y a des officines compétentes au service de la France…
19.4.05
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