3.5.05

Les Italiens rendent leur rapport sur la mort de Calipari

LEMONDE.FR | 03.05.05 | 07h59  •  Mis à jour le 03.05.05 | 08h41

Un barrage volant mal préparé, tenu par des soldats tendus et inexpérimentés, a causé la mort d'un agent des services secrets italiens le 4 mars à Bagdad, affirme un rapport d'enquête, publié lundi 2 mai à Rome, dont les conclusions diffèrent radicalement de la version américaine.
Deux jours après la publication des conclusions de l'armée américaine excluant toute responsabilité de ses soldats dans la mort de Nicola Calipari, le rapport d'enquête italien reprend et corrige quasiment point par point les assertions de Washington.
Si la version italienne réfute l'idée d'une attaque délibérée de la part des soldats américains, elle accuse néanmoins leur manque d'expérience.
"Il est vraisemblable que la tension liée aux circonstances et probablement un certain niveau d'inexpérience et de stress aient pu pousser certains militaires à des réactions instinctives et peu contrôlées", souligne le rapport.
Les enquêteurs italiens précisent que la patrouille américaine était "uniquement composée de réservistes".
"Les précautions avec lesquelles a été installé le point de contrôle Bp 541 furent pour le moins insuffisantes", accuse le rapport. Un commandant de brigade américain arrivé sur les lieux peu après les faits avait envoyé "un message à sa base pour déplorer les problèmes d'organisation du point de contrôle", précise-t-il.
Aucun signal n'a averti le conducteur de la voiture selon l'enquête italienne. "Il manquait donc la mesure de précaution la plus élémentaire, aussi bien pour le trafic civil que pour les militaires eux-mêmes", affirment les Italiens.
Contrairement à ce que prétend le rapport américain, la vitesse ne peut être mise en cause, "à partir du moment où il n'y a pas eu de signaux d'avertissement imposant de ralentir".
"Le conducteur de la voiture ne roulait pas vite, car la route de l'aéroport était mouillée, il savait qu'il approchait d'un virage à 90 degrés et parce qu'il conduisait d'une seule main, tenant un téléphone portable dans l'autre", ajoutent les enquêteurs italiens.
Pour le Pentagone, les militaires ont suivi les procédures et n'ont rien à se reprocher, ce que conteste l'Italie.
Selon les Américains, les soldats, en Irak depuis novembre, avaient une solide expérience du contrôle routier, acquise lors d'une précédente affectation à Taji, au nord de Bagdad.
Cependant, un tel contrôle et un barrage n'impliquent pas les mêmes procédures. S'il existe des règles écrites pour les contrôles routiers, aucune ne vise l'interception d'un véhicule, ont découvert les enquêteurs.
Les soldats impliqués ont appris et se sont entraînés à l'interception de véhicules lors de dix jours de formation en février avec l'unité qu'ils ont remplacée.
La procédure prévoit que le tireur à bord d'un véhicule Humvee ou Bradley est aussi celui qui tient un projecteur, tandis qu'un autre militaire manie un faisceau laser pour diriger les tirs. "Si le tireur doit utiliser son arme, une M4 ou une M240B, il lâche le projecteur, car il a besoin de ses deux mains pour tirer", note le rapport. "Il n'y a pas de formation pour manier le projecteur et le M240B en même temps", précise le rapport.
Deux véhicules Humvee ont été utilisés dans la nuit du 4 mars pour barrer la route, un dispositif renforcé après la mort de deux soldats américains deux jours plus tôt à un barrage proche.
L'enquête a aussi établi que le barrage avait été mis en place pour protéger un convoi transportant l'ambassadeur américain John Negroponte vers l'aéroport.
Inquiet de laisser ses soldats en position statique plus de quinze minutes d'affilée, leur chef s'est enquis plusieurs fois auprès de sa hiérarchie du passage de l'ambassadeur, selon le rapport.
Mais l'unité chargée de la coordination des mesures de sécurité n'a pas répercuté les heures de départ et d'arrivée du convoi. "La consigne des militaires était en conséquence de rester à leur poste", précise le rapport.
Cette absence de communication explique pourquoi le barrage sur lequel est tombé Calipari était encore en action à 20 h 50, soit bien après l'arrivée de l'ambassadeur Negroponte à l'aéroport.
En outre, le rapport dément les affirmations de l'armée américaine selon lesquelles aucune information ne lui avait été donnée sur l'opération de libération de la journaliste Giuliana Sgrena, prise en otage un mois plus tôt, et que Nicola Calipari était venu chercher près de Bagdad avec un autre agent secret italien.
Le rapport a été réalisé sur la base de l'enquête menée par le diplomate Cesare Ragaglini et le général des services secrets Pierluigi Campregher, tous deux membres de la commission mixte italo-américaine mise en place après le drame, mais qui ont finalement refusé de contresigner les conclusions américaines.
La semaine dernière, l'Italie et les Etats-Unis avaient déclaré dans une déclaration conjointe qu'ils n'étaient pas parvenus à s'accorder pour déterminer les responsabilités dans la mort de Nicola Calipari.
Le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, un fidèle allié du président américain George W. Bush, s'exprimera jeudi 5 mai dans la matinée, devant les députés, pour s'expliquer sur ces versions divergentes, alors que des voix ont commencé à s'élever ce week-end dans sa propre majorité pour rappeler les 3 000 soldats italiens installés à Nassiriyah (sud de l'Irak) depuis juin 2003.
Lundi soir, peu après la diffusion du rapport italien, le président des Verts, Alfonso Pecoraro Scanio, a réclamé la création d'une commission internationale chargée d'enquêter sur la mort de Nicola Calipari et a demandé le retrait immédiat des forces italiennes en Irak.

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