14.6.05

Bucarest a identifié les kidnappeurs des trois journalistes roumains

Bucarest a identifié les kidnappeurs des trois journalistes roumains

LE MONDE | 14.06.05 | 14h07  •  Mis à jour le 14.06.05 | 14h07
BUCAREST de notre correspondant


Hakim Ziab Hamid Hussein Al-Samaraï, surnommé "Abou Sahar" par ses amis, dont le vrai nom serait Khaled Al-Akydyi, est l'homme que la police irakienne recherche depuis la libération, le 22 mai, des trois journalistes roumains pris en otages en Irak. Selon un rapport confidentiel des services de renseignement roumains, cet homme âgé de 49 ans aurait servi de lien entre les ravisseurs des journalistes roumains, enlevés à Bagdad le 28 mars, et la Brigade de Mouadh Ibn Jabal, le groupe qui les a enfermés le 1er avril dans la cave où se trouvaient Florence Aubenas et Hussein Hannoun.
"J'ai été enlevée avec mes deux confrères roumains à Bagdad le 28 mars, alors que nous faisions un reportage en Irak, se souvient la journaliste roumaine Marie-Jeanne Ion. Nous avons tous les trois été enfermés dans une maison située dans les environs de la capitale irakienne. Le 1er avril, nous avons été déménagés et enfermés tous les trois dans une cave. C'est là-bas que j'ai rencontré Florence et son guide. Elle m'a dit qu'elle était là depuis trois mois."
Toujours selon les services de renseignement, l'enlèvement des trois journalistes roumains, commandité à Bucarest par le sulfureux homme d'affaires syrien Omar Hayssam (arrêté le 5 avril), aurait été réalisé à Bagdad par un groupe spécialisé dans le kidnapping des étrangers : Mahmoud Khaled Al-Omar, d'origine syrienne (31 ans), Abdel Jabbar Abbas Jasem Al-Salmani (49 ans), Ibrahim Yassin Kaathem Al-Jabouri (36 ans), Omar Jasam Muhammad Ali Al-Salmani (35 ans) et Yussef Munaf Muhammad Amin Al-Amin (34 ans). Ce dernier est le frère de Mohammad Munaf, le guide irakien des journalistes roumains et le complice du commanditaire Omar Hayssam.
Après avoir kidnappé les trois journalistes roumains, ce groupe les aurait transférés à l'échelon supérieur d'un réseau spécialisé dans la détention et le marchandage des otages, la Brigade de Mouadh Ibn Jabal. C'est ainsi que les trois journalistes se sont retrouvés enfermés dans la même cave que celle de Florence Aubenas, Hussein Hannoun et cinq otages irakiens, dont deux ont été extraits de la cave avant la libération des journalistes roumains et dont le sort reste inconnu.
"Nous avons eu affaire à trois canaux de communication, déclare une source proche de la cellule de crise roumaine. Un canal visait les services de renseignements, un autre était en contact avec la communauté musulmane de Roumanie, et un troisième négociait directement avec les familles des journalistes enlevés. Seule la communication établie avec les services de renseignement nous a permis d'aller jusqu'au bout."  Dans cette affaire digne d'un roman d'espionnage, les pistes explorées par les services de renseignement remontent jusqu'aux réseaux d'espions arabes qui ont travaillé pour le compte de la Securitate - la police politique du régime communiste -, que les médias roumains ont baptisés les "réseaux Ceausescu".
Environ 500 000 étudiants des pays arabes ont transité par les universités roumaines dans les années 1970-1980 à l'invitation du dictateur Nicolae Ceausescu. Une partie d'entre eux ont été recrutés par la Securitate, qui a mis ses camps d'entraînement à disposition du terroriste Ilich Ramirez Sanchez, dit Carlos. En 2001, un an avant l'intégration de la Roumanie à l'OTAN, le Service roumain de renseignements (SRI), héritier de la Securitate, a révélé dans un rapport rendu public l'existence de plusieurs cellules extrémistes en Roumanie liées au Hamas, au Hezbollah et aux Frères musulmans. L'officier de liaison du dirigeant palestinien, Yasser Arafat, pour la Roumanie, Ali Hassan Salameh, était à la tête du commando de l'OLP (Organisation de libération de la Palestine) qui a pris en otages les athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1974.
Ion Stan, un député qui a dirigé la commission parlementaire de contrôle du SRI, affirme que, entre 1999 et 2001, 320 millions de dollars ont été transférés illégalement de Roumanie sur des comptes bancaires d'hommes d'affaires connus pour avoir des liens avec des groupes islamistes radicaux. Selon le registre roumain du commerce, la Roumanie compte actuellement 5 227 sociétés irakiennes et 3 051 sociétés syriennes.
L'homme d'affaires syrien basé à Bucarest Omar Hayssam, dont la fortune est estimée à environ 100 millions d'euros, est emblématique de ce mélange des genres entre économie, politique, renseignement et trafics d'influence. A l'époque communiste, son oncle Mohamed Farzat était à la tête d'une société syrienne qui importait des tracteurs de Roumanie, via l'entreprise de commerce extérieur Dunarea (Le Danube), contrôlée par la Securitate. Dans les rapports du SRI, il apparaît comme étant un agent des services syriens.
Omar Hayssam était, quant à lui, dans la ligne de mire des services de renseignement roumains depuis 2004, mais la protection politique dont il a bénéficié pendant le dernier mandat du président Ion Iliescu (2000-2004) lui avait permis d'échapper à la justice.
Un autre homme d'affaires syrien très controversé, Zaher Iskandarani, a été arrêté à Bucarest après l'enlèvement des trois journalistes, mais il a été libéré faute de preuves. L'ancien chef des services secrets roumains, Virgil Magureanu, a confirmé que Zaher Iskandarani avait été recruté par l'ancienne Securitate avant la chute du régime communiste. Il a fait fortune dans l'industrie du tabac et a bénéficié de la protection du régime d'Ion Iliescu.
L'alternance politique qui a eu lieu en Roumanie en décembre 2004 a changé la donne dans un pays qui espère intégrer l'Union européenne en 2007. Les "réseaux Ceausescu" ont perdu leur protection politique et craignent une réforme en profondeur des services de renseignement que le nouveau président Traian Basescu a promis de lancer cet été. Après l'enlèvement des trois journalistes roumains en Irak, un certain nombre d'agents des "réseaux Ceausescu" ont été réactivés pour faciliter le contact avec les réseaux irakiens.
En parallèle avec l'action de la cellule de crise roumaine, une autre démarche a eu lieu auprès de la petite communauté musulmane de Roumanie.
Le rapport des services de renseignement roumains évoque plusieurs personnes qui auraient collecté des centaines de milliers d'euros dans les milieux d'affaires arabes installés en Roumanie afin de constituer une rançon destinée à libérer les journalistes. Pourtant, il semble que l'argent ne soit jamais arrivé en Irak.

Mirel Bran
Article paru dans l'édition du 15.06.05

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