14.6.05

La victoire de Michel Aoun bouleverse le paysage politique au Liban

LE MONDE | 14.06.05 | 14h09  •  Mis à jour le 14.06.05 | 14h09
BEYROUTH de notre envoyée spéciale

Avec les résultats du troisième et avant-dernier tour des élections législatives libanaises, la physionomie du prochain Parlement se dessine peu à peu. La victoire du général maronite Michel Aoun, d'une ampleur que personne n'avait anticipée, a bouleversé la donne politique du pays.
Il y a deux semaines, alors que s'ouvraient ces élections, tous les pronostics donnaient les deux tiers environ de la future assemblée à l'opposition antisyrienne. Le 29 mai, celle-ci avait remporté sans surprise le scrutin de Beyrouth, dont les dix-neuf sièges ont tous été raflés par la liste menée par Saad Hariri, fils de l'ancien premier ministre assassiné. La semaine suivante, c'était au tour de la coalition Amal et Hezbollah, deux partis chiites proches de Damas, de s'approprier la totalité des vingt-trois sièges dévolus à la région sud. La suite des élections devait redonner l'avantage à l'opposition.
Mais, après la décision du général Aoun de se lancer dans la course en faisant cavalier seul, le scénario d'une large majorité réservée au clan des antisyriens a été perturbé. D'autant que le général, malgré des discours nationalistes exaltant un Liban indépendant et souverain, a choisi de s'allier avec des hommes liges de Damas, tels le druze Talal Arslan ou le chrétien Michel Murr. La conséquence positive de son acte a été, en provoquant des batailles électorales inattendues, de susciter l'intérêt des électeurs, jusque-là relativement apathiques, qui sont allés voter en masse, lors du troisième tour du scrutin, dimanche 12 juin, et qui ont eu le sentiment d'exercer leur droit démocratique.

UN VOTE DÉCISIF

En réaction, ces alliances contre nature en ont suscité d'autres, toutes aussi bizarres, comme celle passée entre l'opposant Walid Joumblatt et le Hezbollah. Avec le suspense, le ton est monté entre les adversaires, frisant parfois l'insulte ou la menace, engendrant une situation de plus en plus confuse où la ligne de démarcation qui prévalait entre le clan de "l'opposition" et celui des "loyalistes" a pour ainsi dire disparu.
Le scrutin du 12 juin était déterminant car du résultat des urnes dépendait l'attribution de 58 sièges, soit près de la moitié des 128 sièges de la prochaine Assemblée. Les tensions qu'il a suscitées ont été attisées par la grande complexité confessionnelle caractérisant les deux régions, le Mont Liban (au centre du pays) et la vallée de la Bekaa (à l'est), divisées en sept circonscriptions, qui ont voté.
Dans la circonscription du Hermel-Baalbeck (au nord de la Bekaa) à majorité chiite, le Hezbollah et ses alliés partaient gagnants d'avance, faute de candidats sérieux, et ont remporté dix sièges. Dans la Bekaa ouest à majorité sunnite, la liste de l'opposition soutenue par Saad Hariri en a remporté six. Soit, à chaque fois, la totalité des sièges.
Les autres circonscriptions ont été le théâtre de duels entre la liste du Changement et de la réforme menée par Michel Aoun et ses adversaires de l'opposition. La liste de Walid Joumblatt a emporté les dix-neuf sièges des zones mixtes de Baabda-Aley et du Chouf. Mais, alors que des scores très serrés étaient prévus dans les zones à large majorité chrétienne, les résultats ont donné 21 sièges au général Aoun, soit plus que lui-même n'en avait prévu dans ses déclarations les plus optimistes. Michel Aoun s'affirme ainsi le principal leader de la communauté chrétienne. A l'inverse, après la défaite de leurs ténors, les chrétiens de l'opposition sortent très affaiblis de ce scrutin.
S'ajoutant aux 19 sièges de Beyrouth, l'opposition dispose donc désormais de 46 des 128 sièges de la future Assemblée. Pour s'assurer une majorité, même fragile, au Parlement, il lui faudra encore gagner au moins 19 des 28 sièges de la région nord, le 19 juin, lors de la quatrième et dernière étape de ces élections législatives. Mais, là encore, les batailles qui s'annoncent peuvent réserver quelques surprises.

Cécile Hennion
Article paru dans l'édition du 15.06.05

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