16.6.05

Des révélations de "Time" alimentent la polémique sur Guantanamo

LE MONDE | 16.06.05 | 14h05  •  Mis à jour le 16.06.05 | 14h05
NEW YORK de notre correspondant

A peine retombée la polémique déclenchée par les révélations de Newsweek sur la profanation du Coran à Guantanamo (Cuba), que l'hebdomadaire américain Time relance la controverse sur les méthodes employées sur la base américaine. Dans son numéro du 20 juin, le magazine publie un récit exclusif sur les moyens utilisés pour faire parler le détenu le plus important de Guantanamo, le Saoudien Mohammed Al-Qahtani, considéré comme le 20e pirate de l'air des attaques du 11 septembre 2001.
Time s'est procuré un journal de 84 pages tenu par des militaires et authentifié par le Pentagone. Il couvre la période entre novembre 2002 et janvier 2003 et décrit, au jour le jour, les interrogatoires et traitements infligés à Mohammed Al-Qahtani. Ce dernier est réveillé à 4 heures et interrogé jusqu'à minuit. Les militaires utilisent au début les recettes classiques du "bon" et du "méchant", des punitions, humiliations et promesses de récompenses. Il lui est refusé de se rendre aux toilettes ce qui le contraint à uriner sur lui.
Mais il ne parle pas. Le 2 décembre 2002, les méthodes se durcissent. Donald Rumsfeld, le ministre de la défense, a autorisé l'utilisation de "techniques" plus coercitives. Quand Mohammed Al-Qahtani s'assoupit, les soldats lui versent de l'eau sur la tête ou lui font écouter un disque de la pop star Christina Aguilera. Sa tête et sa barbe sont rasées. Il est soumis à "une invasion de son espace par un élément féminin", une interrogatrice s'allongeant contre lui par terre.
Refusant de boire ou de se nourrir régulièrement, il est placé sous perfusion, sous la surveillance d'un médecin. Les interrogatoires cessent durant vingt-quatre heures, pendant lesquelles il est forcé d'écouter de la musique pour l'empêcher de dormir. Plus tard, il est dénudé. On lui ordonne d'aboyer. "Ils lui accrochent des photos de femmes légèrement vêtues autour du cou." Mohammed Al-Qahtani finit par craquer. Il entend des voix, parle à des personnes qui n'existent pas, annonce "qu'il veut se suicider et demande un stylo pour écrire son testament". Il reconnaît son appartenance à Al-Qaida et propose aux Américains de leur servir d'agent secret en échange de sa libération.
Cinq jours plus tard, le 15 janvier 2003, les procédés autorisés par M. Rumsfeld sont abandonnés devant la multiplication des protestations. Selon Time, plusieurs officiers ne sont pas convaincus de l'efficacité des mauvais traitements. Mohammed Al-Qahtani aurait été bien plus coopératif avec les interrogateurs qui le traitent correctement.
Après la publication de l'article, le sénateur républicain Chuck Hagel a jugé les méthodes décrites "inappropriées". "Ce ne sont pas les standards qui correspondent à ce que nous sommes, un peuple civilisé, et à ce que sont nos lois, a-t-il déclaré. Si nous traitons les prisonniers comme cela, c'est non seulement mal, mais c'est dangereux, stupide et à courte vue." Il soutient des parlementaires démocrates comme Joe Biden et Patrick Leahy et l'ancien président Jimmy Carter, qui ont demandé la semaine dernière la fermeture du centre de détention. "Les Etats-Unis ont créé une zone de non-droit. Nous voulons que les autres pays acceptent de respecter le droit et, à Guantanamo, nous ne le faisons pas", déclare le sénateur Leahy.

CONTRE-FEUX

La semaine dernière, George Bush n'avait pas exclu de fermer la prison. Mais, lundi, lors d'une interview sur la chaîne de télévision Fox News, le vice-président Dick Cheney a rejeté cette idée. "Il n'y a pas aujourd'hui de plan pour fermer Guantanamo. (...) La chose importante à comprendre est que les gens qui sont à Guantanamo sont mauvais (...), des terroristes pour la plupart." Mardi, M. Rumsfeld a affirmé que "le problème n'est pas Guantanamo, mais que nous nous trouvons dans un territoire inconnu avec ce combat complexe et non conventionnel contre l'extrémisme". Mercredi, la Commission de la justice du Sénat a débattu des droits des "ennemis combattants" de Guantanamo. Le républicain Arlen Specter, qui la dirige, a demandé à l'administration de clarifier la situation juridique des prisonniers.
Face aux critiques, le gouvernement tente d'allumer des contre-feux. Depuis plusieurs jours, des élus républicains prennent la défense du Pentagone à l'image de Duncan Hunter, président de la Commission des forces armées de la Chambre des représentants. "Ce sont des gens qui ont cherché à nous tuer qui sont là-bas. Vous avez un type qui était en chemin pour tuer 5 000 Américains et nous avons des gens qui se plaignent parce qu'un chien lui a aboyé dessus à Guantanamo", a-t-il déclaré.
Pour la première fois, le département de la défense a cherché à se justifier en faisant état, dans un communiqué, des informations obtenues en interrogeant Mohammed Al-Qahtani. Il aurait reconnu "avoir été envoyé aux Etats-Unis par Khalid Cheikh Mohammed", considéré comme le cerveau des attentats du 11 septembre. Il a également avoué "avoir rencontré Oussama Ben Laden à plusieurs reprises, avoir reçu des entraînements au terrorisme dans deux camps d'Al-Qaida et avoir été en contact avec plusieurs dirigeants importants d'Al-Qaida".
Mohammed Al-Qahtani "a clarifié les relations de José Padilla et Richard Reid avec Al-Qaida et leurs activités en Afghanistan, a donné les routes et méthodes suivies par l'organisation pour traverser les frontières sans être détecté et a expliqué comment Oussama Ben Laden a échappé aux forces américaines. Il a aussi fourni des informations importantes sur la santé du fondateur d'Al-Qaida et sur une trentaine de ses gardes du corps", ajoute le Pentagone.
Eric Leser
Article paru dans l'édition du 17.06.05

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