17.6.05

La guerre du gaz menace les relations russo-ukrainiennes

RUSSIE L'an dernier, Moscou a fourni 29,2 milliards de mètres cubes à Kiev, qui rêve d'émancipation

Moscou : de notre correspondante Irina de Chikoff
[Le Figaro, 17 juin 2005]

La guerre du gaz aura-t-elle lieu ? Une fois de plus ils se menacent, fourbissent leurs armes, se disent prêts à l'affrontement. Depuis l'effondrement de l'URSS en 1991, Russes et Ukrainiens n'ont jamais cessé de se livrer à des escarmouches. Le gaz est l'enjeu de ce conflit sans fin. Le 8 juin dernier, une nouvelle bataille s'est engagée entre Gazprom, le géant russe, et Naftogaz, la principale compagnie gazière et pétrolière ukrainienne. Gazprom réclame une compensation financière pour la «disparition» de 7,8 milliards de mètres cubes de gaz qui étaient stockés dans des réservoirs souterrains en Ukraine. Pendant toute l'année 2004, les Russes ont adressé 40 demandes à ce sujet sans jamais recevoir de réponse. Une commission de la Douma est allée à Kiev mener son enquête. Elle en est revenue les mains vides. Un quotidien de Moscou, Russki Kourier, ironise : «La Russie gardait des réserves de gaz pour 1 milliard de dollars en Ukraine. Le gaz s'est volatilisé. Confier à Kiev du gaz équivaut à faire surveiller un pot de crème fraîche par un chat !»
Les Ukrainiens ne contestent pas l'existence des réserves mais leurs experts affirment qu'elles sont «inaccessibles» pour de mystérieuses raisons technologiques et Kiev propose de les racheter à Moscou, mais Gazprom et Naftogaz ne sont pas parvenus à s'entendre sur le prix.
Le gaz russe vendu à l'Europe coûte en moyenne 160 dollars les 1 000 mètres cubes tandis que l'Ukraine achète la même quantité de gaz à la Russie pour 50 dollars. Elle en paie une grande partie non pas comptant, mais par le biais d'un système de troc. En 2004, la Russie a fourni à Kiev 29,2 milliards de mètres cubes qui, en échange, a transporté 101,9 milliards de mètres cubes vers les pays de l'Union européenne pour un coût de transit de 1,09 dollar les 100 kilomètres. Gazprom veut passer dès 2006 à un mécanisme de marché. Naftogaz affirme que, dans ce cas, la compagnie relèvera les tarifs du transit.
Deux jours après la réunion tumultueuse entre Alexeï Miller, PDG de Gazprom, et Olexi Ivtchenko, patron de Naftogaz, Vladimir Poutine et Victor Iouchtchenko ont eu un entretien téléphonique. Peu de chose a filtré. Les deux hommes tentent de désamorcer la crise. Mais l'un comme l'autre défendent les intérêts de leurs Etats, qui ne coïncident pas toujours. Ils auraient évoqué l'affaire du consortium gazier tripartite en chantier depuis 2002 qui réunit Moscou, Kiev ainsi que Berlin. L'Ukraine, selon la partie russe, voudrait l'enterrer parce qu'il donne droit de contrôle à Gazprom sur ses gazoducs. La réponse de la compagnie russe n'a pas tardé. Commentaire non sans humour de la presse ukrainienne : «Nous avons tourné le dos à la Russie et maintenant nous nous étonnons qu'elle cherche à nous donner la fessée.»
Quarante pour cent de l'énergie utilisée par l'Ukraine vient de Russie. Cette dépendance pèse sur Kiev. Leonid Koutchma a tenté de s'en libérer. Sans succès. Le nouveau gouvernement ukrainien parle de diversifier ses sources d'énergie et a cherché appui auprès du chef de l'Etat turkmène dont les réserves de gaz sont colossales mais en principe vendues, par avance, à la Russie. Saparmourat Niasov n'exclut pas un accord avec Kiev, mais les Ukrainiens se sont rendu compte que le gaz qu'ils achèteraient directement au Turkménistan leur reviendrait plus cher que le russe.
Valeri Iasev préside le comité chargé des problèmes d'énergie à la Douma. Il s'est récemment rendu à Kiev pour s'entretenir avec des parlementaires de la Rada. Il estime qu'il ne faut pas «dramatiser» la situation. «Nous avons déjà eu des conflits beaucoup plus aigus avec l'Ukraine. Kiev ne peut pas se passer de notre gaz. L'Europe non plus. Je pense que l'UE nous aidera à résoudre le problème.»
Etre ou ne pas être indépendants de la Russie. Les Ukrainiens ont répondu à la question à la dernière élection présidentielle en optant pour le candidat qui était favorable à l'ouverture vers l'ouest. Victor Iouchtchenko n'a jamais caché son ambition : rejoindre à terme l'Union européenne. Moscou a pris acte et rappelé qu'aucun pays de l'Europe occidentale ne bénéficiait de prix privilégiés pour le gaz ou le pétrole. Selon Iouri Boïko, ancien responsable de Naftogaz, «un prix de 160 dollars pour 1 000 mètres cubes mettrait l'économie ukrainienne à ge noux». Le premier vice-premier ministre Anatoli Kinakh a éga lement déclaré qu'en 2006 l'Ukraine ne serait pas en condition, sans douleur, de passer à un mécanisme de marché en ce qui concerne l'importation de gaz russe.

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