16.6.05

Et maintenant ? Toujours plus d’intégration !

Le géostratège portugais envisage les voies d’une sortie de crise

PAR ALVARO DE VASCONCELOS *
[Le Figaro, 16 juin 2005]

Le rejet du traité constitutionnel de l’Union européenne par les électeurs français et néerlandais nous oblige à réfléchir au-delà des implications du traité. C’est ce qui ressort clairement du débat en cours sur le budget de la Communauté. La victoire du non démontre que les dissensions liées à la souveraineté des nations – qui s’opposent à toute forme d’union politique européenne quelle qu’elle soit – sont en progression. Il semble que les «eurosceptiques» gagnent du terrain partout, et qu’une certaine forme de xénophobie prend le pas.
La xénophobie et la souveraineté sont pourtant très éloignées de la principale raison qui a motivé les électeurs à voter non. En France et aux Pays-Bas, ainsi que dans certains pays où le mécontentement va croissant, tels l’Allemagne, les non sont principalement le résultat de l’incapacité des gouvernements nationaux et de l’Union à répondre efficacement aux problèmes qui préoccupent le plus leurs citoyens. Ce ne sont pas seulement les anti-européens qui ont rejeté la Constitution, loin de là.
De nombreux Européens en appellent à l’Union européenne, en fait, pour réduire le chômage et intervenir de manière décisive dans l’arène internationale. On a souvent interprété les divisions internes de l’Europe sur la guerre en Irak – et ses citoyens qui se sont prononcés en grande majorité contre toute intervention militaire – comme un signe de faiblesse.
La réponse face à cette consternation et à ces doutes est toujours plus d’Europe, pas moins. Le sommet du Conseil européen qui se tient aujourd’hui et demain devra montrer clairement qu’il reconnaît ce besoin.
La plupart des supporters de la Constitution pensent qu’elle permettra de construire une Europe des citoyens, tout en créant de meilleures conditions de développement économique en Europe et d’action globale au plan européen. Ils ont raison. Il serait imprudent de partir du principe que le non des Français et des Néerlandais n’exprime pas un certain mécontentement vis-à-vis des politiques de l’Union, mais cette colère était dirigée contre les gouvernements respectifs de ces deux pays, plutôt que contre l’Europe elle-même.
Le fait est que les citoyens de tous les pays membres de l’Union européenne sont de plus ne plus conscients de la détermination des politiques nationales au niveau décisionnel européen, niveau sur lequel ils n’ont que peu d’influence. La Constitution européenne n’est pas concernée par cela, mais les référendums sont rarement limités à la question effectivement proposée aux électeurs. Ils offrent au contraire une occasion, pour les citoyens, d’exprimer leur sentiment sur les choix faits par leur gouvernement, particulièrement dans le cadre européen.
Les élections de 2004 pour le Parlement européen avaient déjà démontré que le niveau de mécontentement populaire envers l’Union européenne était élevé. Les électeurs ont lourdement sanctionné la plupart des gouvernements nationaux. Pourtant, personne n’en a conclu que cette élection allait changer le cours de l’Europe.
Les référendums français et néerlandais ont surtout confirmé que la vie politique de l’Union européenne était maintenant dictée «dans la rue» et qu’il n’était plus possible de «construire» l’Europe à distance et de manière invisible. Cela signifie que les gouvernements de l’Union européenne doivent répondre aux angoisses populaires et rendre l’Union plus transparente et plus démocratique.
Cela serait bien plus facile si la Constitution était mise en oeuvre, mais il existe aussi certaines mesures que l’on peut et doit adopter, dès maintenant, pour que cela soit possible. Dans un premier temps, le budget de la Communauté doit être structuré de telle sorte qu’il ait un impact significatif sur la croissance et l’emploi. Il faut en revenir au volontarisme des programmes Delors, appliqué maintenant à la stratégie de Lisbonne.
Ensuite, les gouvernements européens doivent s’engager réellement à agir de manière concertée. Enfin, les réunions du Conseil devraient être ouvertes quand les questions débattues sont d’ordre législatif, de sorte que les citoyens puissent savoir qui a voté pour quoi et selon quels critères.
Tout cela peut se décider lors de la réunion du Conseil européen, avant même que la résolution de la question constitutionnelle. Il est toutefois nécessaire de résoudre aussi l’impasse constitutionnelle. Comme l’a déjà proposé la Convention, cela impliquerait de séparer les questions constitutionnelles per se de la politique de l’Union européenne. Les véritables innovations se trouvent aux parties I et II de la proposition de traité constitutionnel.
Ce qui a en fait été rejeté et qui pose le plus de problèmes aux citoyens des Etats membres est la troisième partie, qui porte sur les politiques de l’Union européenne et le marché commun, la concurrence et la politique agricole commune. Ainsi, les première et deuxième parties pourraient être ratifiées sans aucune renégociation et pourraient former la base d’un nouveau traité, de sorte que le traité de Nice resterait opérationnel et le débat sur le modèle social européen pourrait se poursuivre.
Il est essentiel de réaffirmer l’essence normative du traité constitutionnel pour protéger les plus gros acquis de la Convention constitutionnelle. La diversité et l’inclusion, par l’intégration des démocraties européennes au sein d’un projet commun, restent le meilleur cadeau que l’Europe fait à la communauté internationale. C’est ce qui a érigé l’Europe en «bien public international», comme le disait heureusement l’ancien ministre des Affaires étrangères brésilien Celso Lafer.
Une telle Europe est mieux placée pour contribuer à un ordre international plus juste que l’Europe réductrice et amère que les xénophobes ont à l’esprit. L’Europe et les Européens ne peuvent attendre un nouveau traité pour prouver que l’Union européenne peut remplir cette promesse.

* Directeur de l’Institut portugais d’études stratégiques et internationales (Project Syndicate. Traduit par Catherine Merlen).

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