25.6.05

Fils exemplaire de la révolution islamique, Mahmoud Ahmadinejad veut "balayer les rues de la nation"

LE MONDE | 25.06.05 | 13h09  •  Mis à jour le 25.06.05 | 13h38

TÉHÉRAN de notre envoyée spéciale

Compte tenu de ce qu'il se veut, ce n'est pas lui faire insulte que de dire qu'avec sa barbe poivre et sel, son col de chemise ouvert et son costume gris le maire ultraconservateur de Téhéran, Mahmoud Ahmadinejad, ressemble aux militants des premières années de la République islamique d'Iran. Ce serait même le contraire, tant il est vrai que cet ingénieur de 49 ans est fier de n'avoir jamais trahi les idéaux pour lesquels la monarchie a été renversée et la République islamique instaurée il y a vingt-six ans. Avec lui, l'idéologie est à nouveau au pouvoir en Iran, et c'est ce qui terrifie de très nombreux Iraniens.

UNE "NOUVELLE ÈRE"

Vendredi 24 juin, après avoir déposé son bulletin dans l'urne, il s'est présenté comme le "balayeur des rues de la nation" . Acte d'humilité, certes. Les Iraniens ont même vu M. Ahmadinejad en tenue d'éboueur, depuis qu'il a été porté à la tête de la mairie de la capitale en 2003 par un conseil municipal à l'élection duquel n'avait participé que 12 % de l'électorat. Mais ne fallait-il pas également lire entre les lignes des intentions plus assassines, dans la mesure où depuis quelques jours il a multiplié les déclarations accusant d'usurpation certains responsables en place ? Il a affirmé, par la même occasion, ne bénéficier du soutien d'aucune formation politique et s'être présenté en se fiant à la seule volonté de Dieu. Il a enfin annoncé que, sous son éventuelle présidence, une "nouvelle ère" prévaudrait, faite de "libertés sociales, politiques et économiques" . Un mois plus tôt, il disait que les Iraniens n'avaient "pas fait la révolution pour avoir la démocratie".
Entre les deux tours du scrutin, M. Ahmadinejad, qui sans doute avait été le premier surpris par son score initial, s'était donné quelques atouts supplémentaires pour séduire. Lui qui, hormis quelques affiches en noir et blanc, n'avait pratiquement pas fait campagne dans un premier temps a fait placarder partout, en quelques jours, force calicots et posters, n'hésitant plus sur la couleur. Il a aussi appris à sourire et surtout, il a versé dans l'excès de démagogie populiste, faisant entendre à son électorat potentiel une rhétorique douce à ses oreilles. Tous pourris - ou presque - a été la substance de son discours au vitriol contre la politique étrangère, sociale, pétrolière et économique du gouvernement sortant, et de son concurrent, Ali Akbar Hachémi Rafsandjani.
Sa virginité politique a été un de ses atouts aux yeux de la frange la plus religieuse et la plus déshéritée de la société iranienne, déçue de l'aboutissement d'une révolution islamique conduite en son nom et dont elle s'estime être la laissée-pour-compte. Les adversaires du maire candidat ont, quant à eux, dénoncé une ingérence en faveur du maire de Téhéran, morale de la part d'une partie de la hiérarchie religieuse et politique, coercitive et/ou financière de la part des Gardiens de la révolution et des Bassidjs, deux corps créés lors de la guerre contre l'Irak.
Ces accusations sont vraisemblables, voire probables, mais elles n'expliquent pas tout. Les plus de 19 % d'Iraniens qui ont permis à M. Ahmadinejad de se retrouver au second tour, alors qu'il n'était crédité dans les projections préélectorales que de la moitié de ce score, sont surtout ces "parents pauvres" de la République islamique qui ont cru en la révolution des "déshérités" conduite il y a vingt-six ans. Certains ont perdu des êtres chers pour la défendre dans la guerre contre l'Irak. Pour eux, l'aboutissement est le creusement des inégalités sociales, un affaiblissement de la dévotion musulmane et une dissolution des moeurs. M. Ahmadinejad a sans doute bénéficié aussi du soutien des plus purs et durs de la hiérarchie religieuse.
A cet électorat de départ se sont agrégés, au second tour, les électeurs d'autres candidats conservateurs éliminés au premier tour et aussi des citoyens qui, ayant d'abord préféré l'abstention, ont vu s'esquisser la possibilité de mettre à la présidence un des "leurs", après avoir perdu espoir au fil des ans.

FILS DE FORGERON

A l'intention de cet électorat, le maire de Téhéran a fait valoir son passé de militant révolutionnaire. Membre fondateur de l'Association islamique des étudiants au début de la révolution, celle-là même qui avait pris d'assaut l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran en 1979, il fut également un partisan actif de la fermeture des universités, décidée en 1980 par les autorités de la nouvelle république, pour y entreprendre une révolution culturelle islamique. L'ironie de l'histoire veut que son concurrent malheureux, Hachémi Rafsandjani, alors président du Parlement, fut l'un des théoriciens de cette fermeture.
Lorsque la guerre entre l'Irak et l'Iran éclate en 1980, Mahmoud Ahmadinejad, fils de forgeron originaire de Garmsar, dans le nord de l'Iran, n'hésite pas à se porter volontaire au sein du corps des Gardiens de la révolution. Après la fin de la guerre, il devient fonctionnaire de l'Etat, avant d'être nommé gouverneur de Maku, dans le nord-ouest de l'Iran, puis d'Ardebil, une province nouvellement créée dans la même région. Alors qu'au fil des années de nombreux intellectuels et lettrés ex-islamistes purs et durs font leur aggiornamento et remettent en question certains fondements de la République islamique, Mahmoud Ahmadinejad demeure fidèle au premier personnage de l'Etat, le Guide de la république, l'ayatollah Ali Khamenei, et devient l'un des représentants de la nouvelle génération de conservateurs, les Abadgaran, ou "Bâtisseurs", qui en février 2004 avaient déjà remporté les élections législatives.
Mahmoud Ahmadinejad, diplômé de la faculté de sciences et de technologie de l'université de Téhéran, qui vit modestement et est peu suspect d'enrichissement ou de corruption, reste donc ce fils exemplaire de la révolution. Son premier projet de maire, auquel il dut renoncer pour cause de forte opposition, était d'enterrer un "martyr" de la guerre sur chaque place de Téhéran. Il juge intolérable les libertés vestimentaires des femmes. Il avait fait savoir avant la présidentielle qu'il n'appréciait guère le fait que, selon lui, les femmes prennent désormais la rue pour un podium de haute couture, dans une allusion aux tenues variées que s'autorise une partie de la gent féminine.

INÉGALITÉS SOCIALES

Il a tenté entre les deux tours d'estomper l'effet de telles déclarations, en démentant avoir l'intention d'imposer la séparation des hommes et des femmes dans l'espace public, affirmant qu'il aurait plus urgent et plus important à faire s'il était élu président : en premier lieu, a-t-il assuré, avec un sens aigu des griefs de son électorat contre le pouvoir, réduire les inégalités sociales en assurant une meilleure redistribution des richesses.
En politique étrangère, il a dit souhaiter établir de bonnes relations avec les pays voisins de la République islamique et avec tout gouvernement "non hostile à l'Iran" . Les Etats-Unis ont rompu leurs liens avec la République islamique pour "la détruire" , avait-il déclaré un jour. "Ils sont libres de le faire, mais il revient à l'Iran de décider s'il veut rétablir ces liens." La possession de l'arme nucléaire ne lui paraît pas nécessaire, mais il interdit à quiconque d'empêcher l'Iran de se doter de la technologie nucléaire.
Quel qu'il soit, le président de la République islamique n'est pas le premier personnage de l'Etat. Cette fonction est occupée par le Guide, l'ayatollah Ali Khamenei, qui a le dernier mot sur les questions essentielles, en politique intérieure ou étrangère et de la défense. M. Ahmadinejad devrait en être le fidèle exécutant.

Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 26.06.05

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