28.6.05

Iran, une régression

Edito du Monde

LE MONDE | 28.06.05 | 13h52

L'élection de l'ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de l'Iran est une mauvaise nouvelle. Pour les Iraniens, sans doute ; pour la communauté internationale, à coup sûr ; enfin, paradoxalement, peut-être aussi pour la République islamique elle-même. Non pas que son rival, le conservateur Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, défait vendredi 24 juin au second tour d'un scrutin vraisemblablement entaché de fraudes, eût transformé le pays en une plaisante démocratie scandinave. Mais du moins cet apparatchik enrichi de la révolution iranienne avait-il fait part d'un programme pragmatique : maintenir les quelques acquis du président sortant, le réformateur Mohammad Khatami, en matière de libertés civiles et culturelles ; approfondir le dialogue avec l'Europe et amorcer une normalisation avec les Etats-Unis. Cette disposition à l'apaisement dans la relation entre Téhéran et Washington aurait pu faciliter le règlement du dossier nucléaire iranien.
Au contraire, l'accession à la présidence d'un populiste de 49 ans, produit du bras armé de la révolution de 1979, les Gardiens de la révolution, et de leur milice civile, les bassidjis, provoque une crispation. Sur le front extérieur, d'abord. Même si M. Ahmadinejad a pris soin de réaffirmer que les intentions nucléaires de son pays restaient purement civiles, il appartient à l'un des groupes du pouvoir iranien qui s'est toujours défini par son opposition résolue aux Etats-Unis. Le fond du dossier ne change pas. L'Iran veut être en mesure de pouvoir décider un jour de fabriquer une arme atomique ; les Européens cherchent à l'en dissuader ; et le président George W. Bush a redit samedi qu'il ne permettrait pas que ce pays devienne une puissance nucléaire militaire. Mais l'un des acteurs change. L'installation au pouvoir à Téhéran d'un homme au passé aussi radical que M. Ahmadinejad est un élément de tension et de défiance supplémentaire dans l'affaire nucléaire.
Sur le front intérieur, cette élection marque aussi une crispation. Elle est le résultat d'un vote de protestation sociale, marquant l'échec des gouvernements Khatami. Avec le baril à 60 dollars, l'Iran est plus que jamais une riche puissance pétrolière. Mais la rente est mal utilisée, qui laisse près de 15 % de la population active au chômage et beaucoup des 68 millions d'Iraniens dans la misère. M. Ahmadinejad n'a pas de programme. Il est ce que son homologue Hugo Chavez est au Venezuela : un populiste, porte-parole des laissés- pour-compte. Ses origines et son entourage, formé d'anciens des Gardiens de la révolution, soulignent une tendance à la militarisation du régime, aux dépens de l'Etat de droit.
Ce scrutin marque enfin une uniformisation de la République islamique : les conservateurs règnent maintenant à tous les échelons d'un régime jusqu'alors partagé entre différents centres de pouvoir. Le Guide suprême, Ali Khamenei, parrain direct de M. Ahmadinejad, est en première ligne - dorénavant directement comptable et responsable.

Article paru dans l'édition du 29.06.05

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